L’une des verrières de l’église de Bazoges-en-Paillers présente une scène exotique illustrant la découverte du corps de l’abbé Brenugat au milieu de la jungle guyanaise en 1798. Qui était ce prêtre qui mourut en déportation il y a 220 ans ?
Les deux scènes du vitrail de l'abbé Brenugat
Il y a beaucoup d’erreurs de dates dans les notices biographiques consacrées à Pierre Brenugat. Vérification faite dans les registres paroissiaux, il est bien néà Pornic le 28 septembre 1748, du légitime mariage de Pierre Brenugat et Renée Hardy. Il est cité comme vicaire de Montbert du 23 décembre 1777 au 3 février 1779 ; comme vicaire de Saint-Molf du 7 mars au 23 décembre 1779 ; puis comme vicaire de La Bruffière, paroisse des « Hautes Marches communes » qui relevait du diocèse de Nantes, du 3 janvier 1780 au 29 novembre 1781. Il changea ensuite de diocèse, passant à celui de Luçon lorsqu’il est nomméà Bazoges-en-Paillers. On le trouve mentionné dans le registre paroissial à partir du 15 janvier 1782, ajoutant à son titre de vicaire celui de « chapelain de Saint-Clair »– du nom de la chapelle de Saint-Clair des Gaboriaux fondée en 1737 dans l’église –, ce qui lui assura une rente annuelle de 150 francs.
L'acte de baptême de Pierre Brenugat (A.D. 44)
L'abbé Bonnet, mort pendant la Virée de Galerne
Le curé de Bazoges-en-Paillers s’appelait alors Jean-Louis Bonnet (et non Bonneau comme on le lit parfois). Il était en charge de cette paroisse depuis trente ans lorsqu’il fut confrontéà la Constitution civile du clergé. Il s’y opposa et refusa de prêter serment, tout comme son vicaire. Entré dans la clandestinité, l’abbé Bonnet se réfugia à La Gaubretière. Pierre Rangeard en parle dans ses Mémoires : « M. le curé de Bazoges, dont l’asile habituel était la Touche-aux-Roux, disait la messe dans des rochers sur le bord de la petite rivière de la Crûme ». D’après l’abbé Rémaud, il aurait suivi l’armée vendéenne à la fin de l’année 1793 et serait mort outre-Loire.
L'arrestation de l'abbé Brenugat
L'abbé Brenugat pourchassé en 1797
L’abbé Brenugat se cacha lui aussi, vraisemblablement autour de sa paroisse de Bazoges-en-Paillers. Il figure dans la liste des 57 prêtres réunis le 4 août 1795 au synode du Poiré-sur-Vie, qui fut l’acte fondateur de la reconstruction de l’Église de Vendée. La présence du général Hoche à la tête de l’armée de l’Ouest éloigna un temps les menaces sur les religieux insermentés, qui furent bientôt rattrapés par les persécutions anticatholiques à la faveur du coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797).
Dans l’État des prêtres réfractaires résidant en Vendée, dressé le 6 brumaire an VI […], l’abbé Brenugat est signalé comme « constamment resté dans la Vendée, et n’ayant prêté aucun serment ». Le Directoire exécutif ordonna donc son arrestation deux jours après : « Considérant que les deux prêtres Rémaud de Chavagnes et le prêtre Bernugard (sic) de Bazoges sont trois réfractaires qui ont contribuéà corrompre l’esprit public dans le canton de Saint-Fulgent, dont les habitants très fanatiques ne sont rien moins que disposés à se rallier sincèrement au gouvernement ; arrête : ces trois prêtres seront sur-le-champ arrêtés et déportés. »
L’ordre fut confié le 7 décembre 1797 au général Travot, qui en confia l’exécution au général Grigny. La rafle fut fructueuse : les Bleus s’emparèrent de l’abbé Brenugat, le conduisirent à la prison de Montaigu en compagnie de l’abbé Allain, curé de Saint-André-Goule-d’Oie, puis à Fontenay. De là, les prêtres furent envoyés le 22 décembre vers à Rochefort où ils arrivent quatre jours après. Les côtes charentaises étaient à cette époque un lieu de concentration des prêtres et religieux réfractaires, entassés par centaines sur des pontons insalubres en attendant leur déportation en Guyane.
Le cœur vendéen au bas de la verrière de l'abbé Brenugat
La déportation en Guyane
Le 11 mars 1798, l’abbé Brenugat fut embarqué sur La Charente, avec près de 200 autres prêtres (notamment l’abbé Ténèbre, curé de Croix-de-Vie ; l’abbé Allain a réussi à s’évader). Pris en chasse par les Anglais, le navire s’échoua ; il fallut transférer les prisonniers sur une autre frégate, La Décade, le 25 avril.
Débarqué en Guyane après une longue traversée, l’abbé Brenugat prit la direction d’un camp perdu dans la savane de Conomama, avec une centaine d’autres déportés. Les conditions de vie s’avéraient terribles sous ce climat équatorial : un abri sans mur avec un hamac pour seul mobilier ; peu de nourriture, d’eau potable et de soins.
Le malheureux vicaire de Bazoges ne survécut pas longtemps à l’été guyanais. Un déporté rapporta dans une lettre du 9 septembre 1798, qu’« un prêtre qui depuis plusieurs jours ne paraissait point aux appels, a été trouvé mort dans une forêt voisine. Il y avait succombé d’inanition. Ses mains étaient jointes et sur ses lèvres inanimées reposait un crucifix ». Il avait été découvert par des noirs qui l’avait apporté au camp, traînant sa dépouille de case en case, mais refusant de l’inhumer. Le corps resta ainsi abandonné pendant trois jours, jusqu’à ce que ses confrères, qui n’avaient pas d’argent à offrir, puissent creuser de leurs mains une fosse pour l’ensevelir.
Des indigènes découvrent le corps de l'abbé Brenugat
En 1943, l’abbé Maxime Raballand, curé de Bazoges-en-Paillers, commanda deux verrières à l’atelier Uzureau de Nantes pour compléter la décoration de son église reconstruite en 1903. L’un représente deux scènes de la vie du Père de Montfort (illustrations ci-dessous) ; l’autre évoque le martyre de l’abbé Brenugat, mort en déportation en Guyane. Il fut offert par « des donateurs généreux qui ont permis, au nom du Souvenir Vendéen, de rappeler l’arrestation, l’exil et la mort, dans l’attitude du martyr, de ce prêtre ».
Le cimetière de Conomama, dans lequel reposent l’abbé Brenugat et une soixantaine d’autres ecclésiastiques morts en déportation, subsiste toujours en pleine savane. On aperçoit, émergeant des herbes hautes, ses croix blanches rassemblées autour d’un calvaire. Le Souvenir Vendéen y a posé en 1998 une plaque « à la mémoire des prêtres de la Vendée militaire déportés par le Directoire ».
La plaque du Souvenir Vendéen en Guyane (1998)
Pour en savoir plus : Virginie Brunelot, Pierre Brenugat, vicaire de Bazoges-en-Paillers, mort en Guyane, Revue du Souvenir Vendéen n°253 (décembre 2010), pp. 29-35.
La verrière du Père de Montfort dans l'église de Bazoges-en-Paillers :