Il est rare de trouver dans les registres d’état civil un acte de décès aussi détaillé ! Il aura fallu deux pleines pages de registre d’état civil pour que l’agent municipal de Parné (Mayenne) enregistre le décès de Charles Harnois, un combattant chouan qu’on surnommait « Mousqueton », survenu dans sa commune le 28 janvier 1799.
Début de l'acte de décès de Charles Harnois, dit Mousqueton (A.D. 53)
L’abbé Alphonse Angot n’est pas tendre avec Charles Harnois dans son Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne : « Capitaine de paroisse dans la division de Jambe d'Argent (1), (il) avait servi sous le drapeau républicain avant de s'unir aux Vendéens. Difforme et féroce, il déshonorait la cause qu'il avait embrassée. Dépourvu de tout sentiment d'humanité, il repoussa d'un coup de plat de sabre une mère vendéenne qui le suppliait de sauver sa fille et qui s'était suspendue à la bride de son cheval. À Astillé (juillet 1794), il massacra les prisonniers confiés à sa garde, et il fallut la menace du sabre de Jambe d'Argent pour l'empêcher de mettre le feu à l'église. Après la pacification qu'il avait signée à Bazougers le 7 mai 1795, et après la mort de son chef, il se laissa aller à des excès tels que Bézier (2) menaça de le faire fusiller… »
L’érudit abbé ajoute : « D'après les pièces de son procès, il fut arrêté le 8 août 1797 (3) à Craon, puis emprisonnéà Laval et envoyé rejoindre son corps, qu'il déserta pour la seconde fois. Repris le 2 mars 1798 à Mayenne et aussitôt incarcéré, il s'évada le 21 avril, mais fut ressaisi le même jour et conduit à Brest oùétait son corps. Il déserta encore, fut pris par des gendarmes déguisés, avoua qu'il avait tué 47 personnes, et rentra dans la prison de Laval, le 12 janvier 1799 ».
Un acte de décès en forme de procès-verbal
C’est lors de son transfert de Laval à Tours que Charles Harnois fut tuéà la Bouhourdière, à droite de la route de Parné (4) à Forcé, par les gendarmes qui l’escortaient. Voici son acte de décès (orthographe rectifiée) :
Deux pleines pages pour l'acte de décès d'un Chouan ! (A.D. 53)
Aujourd’hui dix pluviôse an sept (5) de la République française une et indivisible, à heure du midi, par-devant moi Guillaume Gouesse, agent municipal de la commune de Parné, est comparu en la maison commune dudit Parné le citoyen Paumard, juge de paix dudit canton de Parné (…), lequel a déclaréà moi Guillaume Gouesse, qu’ayant été instruit qu’un homme avait été tué sur le lieu de la Bouhourdière, située dite commune de Parné, il s’y est transporté et en avait rédigé le procès-verbal dont la teneur suit :
Nous, Pierre Paumard, juge de paix du canton de Parné, département de la Mayenne, assisté du citoyen Laporte notre greffier et en la présence du citoyen … fils (? nom dans la reliure), commissaire près le canton de Parné, nous sommes transportés à la réquisition dudit commissaire au lieu de la Bouhourdière, commune de Parné, pour dresser procès-verbal qui constate le genre de mort d’un individu tué hier sur ledit lieu de la Bouhourdière, suivant le procès-verbal signé des citoyens Gallot et Foucquet, gendarmes à la résidence de Laval.
On nous a conduits dans un champ appelé l’Écussiau de la Bouhourdière, où le métayer dudit lieu l’avait inhumé, de peur qu’il fût mangé pendant la nuit par quelques bêtes féroces.
La Bouhourdière sur le cadastre de Parné, 1829, section A4 (A.D. 53).
Le champ de l'Écussiau n'est malheureusement pas indiqué.
Nous avons ordonné l’exhumation dudit cadavre afin qu’il fût visité par un officier de santé appeléà cet effet ; qu’ayant été exécuté, ledit officier de santé a examiné le cadavre qu’il nous a dit être celui du nomméCharles Harnois dit Mousqueton, attaqué de coup de feu par des gendarmes à la résidence de Laval qui le conduisaient à la brigade de Meslay, lequel s’était échappé de leurs mains (6) par le chemin de Chéré. Il était déjàà cent pas de la grande route dans ledit chemin de Chéré, quand il a été atteint d’une balle.
Nous avons vu l’endroit désigné par les traces de sang et le papier de la cartouche. Il avait été transporté de là au lieu de l’Écussiau où examen fait dudit cadavre par l’officier de santé, il a reconnu être le corps d’un homme de cinq pieds deux pouces, cheveux châtain noir, menton carré, nez moyen, bouche moyenne, barbe naissante, âgé de vingt et quelque année.
La terre qui masquait tous les traits de la figure nous empêchait de la signaler plus avantageusement. Le cadavre vêtu d’une veste noire, gilet de gaze (?) blanche, un grand pantalon bleu bordé de rouge, une chemise, des chaussons, des sabots, le tout en mauvais état.
Avons remarquéà la poignée du bras droit une plaie transversale de la longueur d’un pouce et demi se bornant à la peau, toute la face interne de l’avant-bras noire et la partie externe dudit bras cautérisée par le feu occasionné par la brûlure. De ses vêtements du même côté, avons remarquéà la partie latérale droite, de face, à un pouce du trou auditif de l’oreille droite, une ouverture qui nous a paru être celle faite par une balle de cartouche mise en mouvement par la poudre à canon, laquelle balle nous estimons qu’elle a sorti par la bouche. Avons remarqué une déchirure à la commissure des lèvres du côté gauche de la langue entièrement déchirée. Nous estimons que les endroits sont les passages de la balle qui a été la cause première de la mort de cet individu.
Tout ce que dessus et d’autre part affirmons être véritable. Lecture faite du présent procès-verbal audit officier de santé, y a persisté et a signé avec nous, après quoi avons ordonné le transport dudit cadavre au lieu ordinaire de l’inhumation de la commune de Parné pour y être enterré…
Source : Archives de la Mayenne, état civil de Parné-sur-Roc, NMD 1793-1803, vue 224/388.
Notes :
- Jean Treton, dit « Jambe d'Argent » (1770-1795), chef chouan mayennais. L’abbé Gaugain, historien de la Mayenne, prétend que Charles Harnois était originaire du même canton que Jambe d’Argent (néà Astillé), tandis que l’abbé Angot le dit né dans l’Orne. Je n’ai pas encore trouvé son acte de baptême.
- Jean Bézier, dit « Moustache » (1750-1815), chef chouan mayennais, autrement plus glorieux que « Mousqueton ».
- « Le 8 ou le 28 août 1797 », d’après Hubert La Marle, Dictionnaire des Chouans de la Mayenne, 2005, p. 92.
- Commune de Parné-sur-Roc depuis 1919. Cette route a été témoin de bien des événements.
- Soit le 29 janvier 1799, lendemain de la mort de Charles Harnois.
- On n’y croit pas une seconde ! L’abbé Angot rapporte que Charles Harnois « était en sabots, dans un état de faiblesse qui obligeait les gendarmes à le soutenir et il était lié avec une corde » (lettre du juge Midy au ministre de la Justice). Il s'agit purement et simplement d'une exécution sommaire.