La commune de Neuvy-en-Mauges fut l’un des bastions de l’armée d’Anjou en 1794-1795, ce qui contribua sûrement à préserver ses châteaux de la destruction. Stofflet avait son quartier général à la Morosière, tandis que l’abbé Bernier résidait au Lavouër. Un troisième, tenu par un poste vendéen, surveillait ce territoire : le manoir de l’Aunay-Gontard.
Le manoir de l'Aunay-Gontard, vu du côté jardin
Dissimulé entre les bois et les ravins de la vallée du Jeu, à mi-chemin entre Neuvy-en-Mauges et La Jumellière, l’Aunay-Gontard a une histoire sans grand éclat. Le manoir s’appelait jadis, au XVIe siècle, « l’Aunay de Thunes », du nom de son propriétaire, Jehan de Thunes, un personnage insolite qui fut compromis dans une affaire de fausse monnaie (ce qui, dit-on, expliquerait l’origine du mot argotique « tune »), et condamné en 1526 àêtre bouilli vif à Angers en compagnie de ses complices. La sentence ne fut pas mise à exécution, les faussaires ayant déjà pris la poudre d’escampette.
Au XVIIIe siècle, l'Aunay devient « Gontard »
Les propriétaires qui lui succédèrent ne se sont guère fait remarquer, sinon par des soucis récurrents de dettes. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Aunay passa entre les mains de Charles Gontard (1721-1771), brillant avocat et homme de culture qui sera élu à l’Académie d’Angers en 1750. Ce dernier se prit de passion pour sa nouvelle demeure qu’il rebaptisa « l’Aunay-Gontard » (aussi noté« Launay-Gontard »). Cédant, comme beaucoup de ses contemporains bourgeois, au goût et aux ambitions aristocratiques, il l’adjoignit le nom de son domaine au sien pour devenir « M. Charles Gontard de L’Aunay » (1).
C’est grâce aux travaux qu’il engagea que le manoir prit l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui. Une aile perpendiculaire au logis fut ajoutée au nord, et une chapelle du côté sud (2). En outre, l’intérieur fut redécoré de boiseries et de tapisseries. Charles Gontard mis également en valeur ses terres et en acquit de nouvelles. Malheureusement pour lui – est-ce une malédiction des propriétaires du manoir ? – il perdit sa fortune dans une faillite en 1771 (3).
Son fils, Charles-François (1756-1835), parvint toutefois à conserver le manoir de l’Aunay-Gontard, mais il le quitta pendant la Révolution pour s’installer à Angers. Il y fondera la Société d’Agriculture et propagera de nouvelles techniques agricoles comme le chaulage des terres (4).
La grille d'entrée du jardin de l'Aunay-Gontard
Sous la garde d'un lieutenant de Stofflet
Qu’advint-il de l’Aunay-Gontard durant ces années de guerre qui dévastèrent les Mauges ? Eh bien, les Bleus, qui pourtant passèrent par Neuvy, ne s’aventurèrent jamais dans ce repaire de « brigand ». Car un poste de Vendéens s’était installé dans le manoir au début de l’année 1794.
Il était tenu par un certain Quesson, un lieutenant de Stofflet dont on ne sait quasiment rien, sinon qu’il se serait prénommé Jacques et qu’il aurait été originaire de Saint-Laurent-de-la-Plaine (5). Son nom apparaît dans la chronique vendéenne grâce à une lettre que le général en chef de l’armée d’Anjou lui adresse, le 19 avril 1794 (6), à propos de l’abbé Bernier.
Dans une grange voisine du logis, quatre croix tracées à la peinture près d'une meurtrière gardent leur mystère. André Sarrazin pense qu'elles pourraient témoigner qu'on y fit « parler la poudre » en 1794-1795. Ou bien est-ce la trace que l'endroit servit à la même époque pour des messes clandestines ?
Quand l'abbé Bernier proposait ses services à Stofflet
L’ancien curé de Saint-Laud d’Angers avait échappé au désastre de Savenay, au cours duquel l’armée vendéenne fut anéantie au terme de sa campagne d’outre-Loire. Il parvint à repasser la Loire au village de Rohars et, de là, avait rejoint Charette à qui il offrit ses services.
« Ce général lui répondit : “Ah ! je suis fort aise de vous voir, j’ai beaucoup de paroisses sans cure, vous pourrez choisir”. Ce n’était pas ce qu’ambitionnait l’ancien curé de Saint-Laud, depuis qu’il s’était découvert des talents propres à le pousser plus loin. Il quitta promptement Charette sans lui pardonner de n’avoir su l’apprécier ; il le lui a prouvé en se montrant toujours en opposition avec ce général. C’est ce qui explique le peu d’accord qui a existé entre Charette et Stofflet, Bernier ayant pris beaucoup d’ascendant sur le second de ces chefs » (7).
L’abbé Bernier s'est donc tourné vers Stofflet « pour devenir l’âme de son conseil ». La date de son entrée en relation avec le général vendéen est fixée par ce billet autographe dont l’original, d’une écriture très ferme, très nette, se trouve aux Archives départementales de Maine-et-Loire (8) :
À Monsieur Quesson, commandant de la garde de Launay, à Launay (9)
Chemillé, 19 avril 1794
Je reçois à l’instant, Monsieur, votre billet par lequel vous me donnez avis des offres de M. le curé de Saint-Laud. Faites-lui-en, je vous prie, mes remerciements et lui dites que son ministère me sera très nécessaire, et que nous le prions de se rendre ici, pour célébrer la messe demain.
Je vous donne avis du rassemblement que nous indiquons pour lundi prochain préfixéà Chemillé. Je suis bien fâché que votre blessure ne vous permette pas de vous y trouver. Je vous souhaite un prompt rétablissement, et j’ai l’honneur, d’être,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Stofflet.
On connaît les suites de la collaboration entre l’abbé Bernier et Stofflet, à compter de cette date, jusqu’à février 1796. On ignore en revanche ce qu’est devenu Jacques Quesson ; il n’y a pas de demande de pension à son nom sous la Restauration. On sait en revanche que Charles-François Gontard reprit possession de son manoir après la Révolution.
Notes :
- Sur l’histoire de propriétaires successifs de l’Aunay-Gontard, on lira : André Sarrazin, Gens et maisons du temps passé. Anjou, 1995, pp. 78-81.
- La chapelle n’existe plus de nos jours.
- Il était venu en aide à parent de son épouse (Perrine-Marie Legris), propriétaire d’une fabrique de toiles d’indiennes à Angers, qu’il cautionna, avant de se découvrir ruiné lors du dépôt de bilan en avril 1771.
- Charles-François Gontard est néà Angers le 25 décembre 1756 ; s’est marié au May-sur-Èvre le 21 septembre 1784 avec Julie-Suzanne-Renée Tharreau (1761-1811), la sœur du général et comte d’Empire Jean-Victor Tharreau ; et est décédéà Angers le 15 février 1835 à l’âge de 78 ans.
- « Jacques » d’après André Sarrazin ; « Jean ou Jacques », d’après l’actuel propriétaire de l’Aunay-Gontard, qui situe également à Saint-Laurent-de-la-Plaine l’origine de ce lieutenant de Stofflet.
- C’est-à-dire cinq jours avant la bataille de Chaudron qui vit l’union des forces de Stofflet, Charette et Sapinaud, et la défection de Marigny (ce qui coûtera la vie à celui-ci).
- Souvenirs de la comtesse de La Bouëre. La guerre de la Vendée, 1793-1796, pp ; 150-151.
- Ch.-L. Chassin, La Vendée patriote, 1793-1800, tome IV, p. 492 (merci à Xavier Maudet !).
- Dans son article sur Marigny, le général assassiné (Revue du Pas-Poitou, 1969, pp. 151-152), J.-R. Colle écrit que l’abbé Bernier « gagna la Moroussière, dans la commune de Launay-Gontard, en Neuvy et offrit ses services à Charette qui ne les accepta pas. Bernier se rabattit alors sur Stofflet ». L’Aunay-Gontard n’a pourtant jamais été une commune !
Encore quelques photos de l'Aunay-Gontard :