En fouillant plus avant la bibliographie de l’abbé Augereau, que j’ai présentée ici, j’ai constaté que celui-ci avait également publié plusieurs articles dans la Revue de Bretagne et Vendée. J’y ai glané ce souvenir d’une rencontre entre ce prêtre et le fils d’un soldat républicain de 1793.
Soldat républicain de la 147e demi-brigade, 1793
(Archives départementales des Ardennes)
En 1845, je me trouvai de passage à Chartres. Au moment de partir, j’attendais le signal de monter en voiture, au bureau des Messageries. Pendant que je me tenais debout, appuyé le long d’un meuble, un homme du peuple s’approcha de moi, et me dit, sans plus de préambule :
– Monsieur l’abbé, vous ne me paraissez pas être de ce pays-ci ?
– Non, lui répondis-je, car je suis de la Vendée.
– Ah ! mon père m’en a parlé bien souvent, de la Vendée.
– Il y est allé, sans doute ?
– Oui, Monsieur, pendant la guerre de 1793 ; il était soldat de la République.
– Dans ce cas, il ne doit pas vous avoir dit beaucoup de bien de mon pays ?
– Au contraire, il aime beaucoup les Vendéens, il en fait l’éloge, chaque fois qu’il en parle.
– Est-ce qu’il ne s’est pas fait battre par eux ?
– Oh ! pour ça, ça ne lui a pas manqué !
– Mais il est donc d’un bien bon caractère, votre père ?
– C’est que je ne vous ai pas tout dit : mon père était si malheureux parmi les républicains, et il était tellement dégoûté par les crimes commis sous ses yeux, qu’il déserta. Il se présenta aux premiers Vendéens qu’il rencontra, et ceux-ci le conduisirent aussitôt vers leurs chefs. Les chefs lui demandèrent s’il voulait prendre du service parmi eux, mais il refusa. Ils lui proposèrent alors de rester dans la Vendée, et lui promirent qu’il n’aurait rien à craindre, pourvu qu’il s’abstînt de tout rapport avec les républicains. Mon père les remercia, mais il leur dit que son désir était de retourner chez lui. Ils lui répondirent que l’entreprise était hasardeuse, mais que cela le regardait, et qu’ils allaient lui donner un sauf-conduit, au moyen duquel il pourrait voyager en Vendée, ou même y séjourner, en attendant l’occasion d’exécuter son projet. On lui remit, en effet, un sauf-conduit, et il traversa toute la Vendée. Il logeait dans les fermes, où on le recevait comme s’il eût été de la maison. Non seulement on lui donnait à manger, mais quand il partait on lui offrait encore du pain, et, comme il n’osait accepter, les femmes en mettaient elles-mêmes dans ses poches. « Prenez, lui disaient-elles ; de ce temps-ci il est bon d’avoir des provisions d’avance, car tout le monde est exposé par moment à prendre la fuite pour se cacher. »
Mon père, continua mon interlocuteur, parle sans cesse de la bonté de ces gens-là. Si vous deviez rester ici quelques heures, j’irais le prévenir ; je suis sûr qu’il serait heureux de vous voir pour s’entretenir avec vous de la Vendée.
On m’appelait pour monter en voiture, je n’eus que le temps de le saluer.
Cet entretien m’est resté gravé dans l’esprit, presque mot à mot ; je l’ai reproduit dans sa simplicité, sans chercher à l’embellir, et surtout sans en altérer le sens. Tout esprit impartial verra, dans un témoignage aussi peu suspect, la réfutation de bien des mensonges et de bien des inepties débitées sur le compte des Vendéens.
Louis Augereau, Souvenirs des Guerres de Vendée, Revue de Bretagne et de Vendée, 1879, 1er semestre, pp. 28-29.