Mes recherches sur la famille Nicolas, dont plusieurs membres s’engagèrent dans l’insurrection vendéenne, m’ont amenéà m’intéresser à deux frères, René et Eugène-Prosper, le premier, « ancien officier des armées royales », le second, curé d’Yzernay. Or celui-ci a connu, dans sa petite enfance, un parcours bien plus mouvementé qu'on ne le pensait.
Détail de La déroute de Cholet, gravure sur bois de Th. Girardet,
d'après le tableau de Jules Girardet
Dans l’édition révisée du Dictionnaire du Maine-et-Loire de Célestin Port, on lit qu’Eugène Nicolas est néà Cholet le 25 juin 1792 ; en réalité sa naissance est datée du 5 mars 1792 (1). Et plus loin : « Ses parents étant morts victimes de la Révolution (2), l’enfant est perdu à 15 mois près de St-Florent-le-Vieil lors de la déroute de Cholet. Recueilli par des soldats républicains et nourri par eux, il retrouve sa famille vers l’âge de 5 ans. Ordonné prêtre en 1817, il sera vicaire à N.-D. d’Angers, curé d’Yzernay, puis de 1825 à sa mort (le 2 septembre 1871) curé de Segré…» (3).
Tombé dans la boue d'un fossé,
l'enfant est recueilli par un officier bleu
L’itinéraire de ce jeune enfant fut en réalité bien plus mouvementé, comme nous l'apprend le témoignage suivant :
« La mère (Marie-Françoise Fonteneau, épouse de René-Sébastien Nicolas), après le désastre de Cholet (le 17 octobre 1793), s’est mêlée à l’immense cohue en fuite vers la Loire, traînant avec elle ses onze enfants et une servante…
Celle-ci, qui emporte à son cou le dixième, le petit Eugène-Prosper, s’est trouvée, entre Cholet et St-Florent, séparée de sa maîtresse. Apeurée, perdant la tête, et pour se sauver au plus vite, elle s’est débarrassée de l’enfant, le déposant dans une charrette qui passait…
Non loin de St-Florent, au hasard des cahots du chemin, le pauvre “drôle” (4) tombe de la charrette et passe de longues heures dans la boue d’un fossé. Un officier bleu, passant par là, l’entend par hasard crier et, comme c’est un brave homme, il le ramasse et le confie, on ne sait comment, à Mme de la Guérinière, de La Chapelle-St-Florent.
Celle-ci le recueille, le soigne de son mieux, mais, obligée elle-même de fuir, elle laisse l’enfant à une certaine dame Rousseau, femme de cœur, elle aussi, qui veut bien en prendre soin. Sa fille, vivandière dans une division républicaine, s’attache au petit abandonné et l’emmène avec elle dans ses déplacements à la suite de la colonne.
Un jour, à Saumur, une femme qui les croise au passage s’arrête. Elle a reconnu l’enfant à la robe qu’il porte. C’est la nourrice d’Eugène-Nicolas. Elle le prend à son tour et le ramène à Cholet, pour le rendre aux siens… Mais il n’y a plus personne de la famille. La mère est morte de misère, quelque part dans la Galerne ; les frères et sœurs sont dispersés ; les biens du père confisqués… Heureusement, des gens charitables, dont l’ancien maire de Cholet, M. Amaury (5), et Mme de la Guérinière, sa première bienfaitrice, pourvoient à sa subsistance et à son éducation… » (6).
Ce récit a été transmis par Mme Panneton, de La Chapelle-Saint-Florent, descendante de Mme de La Guérinière (7).
Articles connexes :
- Le curé d’Yzernay défend son frère et tacle la « Petite Église »
- Les Nicolas, une famille choletaise dans les Guerres de Vendée
Notes :
- A.D. 49, état civil de Cholet, Liste chronologique NMD 1790–An VI, vue 18/71.
- Le père d’Eugène-Prosper, René-Sébastien Nicolas, nommé membre du comité royaliste de Cholet après la prise de la ville par les insurgés, le 14 mars 1793, comparut le 8 janvier 1794 devant la commission militaire d’Angers, qui le condamna à mort. Il fut compris dans la première fusillade d’Avrillé, le 12 janvier suivant. La mère d’Eugène-Prosper, Marie-Françoise Fonteneau, est « morte de misère, quelque part dans la Galerne », autrement dit pendant (ou après) la campagne de l’armée vendéenne sur la rive droite de la Loire à la fin de l’année 1793 (Revue du Souvenir Vendéen n°35, p. 14).
- Célestin Port, Dictionnaire historique , géographique et biographique de Maine-et-Loire, Angers, 1989, t. III, p. 16 (cette entrée dédiée à Eugène Nicolas ne figure pas dans l’édition originale de 1876-1878).
- Petit enfant, en patois angevin (A.-J. Verrier, R. Onillon, Glossaire des patois et des parlers de l’Anjou, 1908, t. Ier, p. 301).
- Amaury-Pierre-Jacques Gélusseau (Jallais 1735 – Cholet 1803) occupa brièvement les fonctions de maire de Cholet, du 1er vendémiaire au 7 germinal an V (22 septembre 1796 – 27 mars 1797).
- Revue du Souvenir Vendéen n°35, p. 14.
- Il s'agit de Marie-Louise-Eulalie Richard des Petits Champs, épouse de Charles-Joseph Cesbron, seigneur de la Guérinière ; ils s'étaient mariés le 13 janvier 1772 à Saint-Florent-le-Vieil. Leur fils, Joseph-François (La Chapelle-Saint-Florent 1772 – Nantes 1819) se maria en 1801 avec Anne Luneau de L'Isle, dont il eut une fille, Eulalie, dernière représentante des Cesbron de La Guérinière. Celle-ci se maria en 1823 avec François Panneton, dont il y eut une descendance.