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Le faux évêque des Vendéens

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Guillot de Folleville est sans doute le personnage le plus invraisemblable de l’histoire vendéenne. Comment cet ancien curé de Notre-Dame de Dol, qui prit le parti de la Révolution au point de jeter sa soutane aux orties et de s’enrôler dans un bataillon de volontaires, parvint-il à se faire passer pour « l’évêque d’Agra » et à présider le Conseil supérieur des Vendéens ? Il poussa même l’imposture en prétendant détenir du Saint-Siège une juridiction qui lui permettait d’accorder des dispenses comme le montre une lettre conservée aux Archives du Maine-et-Loire.

6 L 34 2Signature de Guillot de Folleville, évêque d'Agra,
vicaire du Saint-Siège (A.D. 49, 6 L 34)
  

Avant de présenter cette lettre, il convient de rappeler qui était ce personnage rocambolesque, Guillot de Folleville, soi-disant évêque d’Agra.

Pierre-François Guillot (aussi noté Guyot) est né en 1764 à Saint-Servan, près de Saint-Malo, dans une famille aisée. Il ajoutera plus tard « de Folleville »à son patronyme en l’empruntant à celui de sa grand-mère paternelle, afin de se distinguer de celui de son frère aîné, Guillot « de Rochepierre ». L’adjonction du nom d’une terre, courant à l’époque parmi la bourgeoisie, donnait à ceux qui en usaient l’illusion d’une notabilité ancienne. Les mêmes s’empresseront de revenir sur cet usage lorsqu’ils prendront le parti de la Révolution.

Entréà quinze ans au Petit Séminaire, puis au Grand Séminaire d’Angers, Guillot y suivit des études de théologie et de droit, compléta sa formation à Paris, avant d’être ordonné prêtre en 1787 dans la cathédrale de Saint-Malo. Il reçut également les titres de docteur en théologie, en droit civil et en droit canon.

Faute d’être inscrit au barreau, ni d’avoir reçu un bénéfice ecclésiastique, il avait tout le loisir de vivre à Paris, et d'assister avec la plus grande attention, aux événements de 1789. D’opinion modérée, proche des monarchiens, il vit d’un mauvais œil le vote de l’Assemblée qui mettait les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. Il quitta justement Paris à cette époque et trouva à Dol, en avril 1790, une cure vacante à laquelle il fut nommé par Mgr de Hercé (1).

L’abbé Guillot prête le serment constitutionnel, puis se rétracte

À la fin de l’année 1790, l’abbé Guillot revint à la capitale. Ses opinions avaient suivi le cours des événements et glissé vers le club des Jacobins qu’il aurait d’ailleurs rejoint, dit-il lui-même. Son assiduité aux séances de l’Assemblée lui permit de suivre les débats autour du serment constitutionnel imposé aux ecclésiastiques, serment qu’il prêta lui-même par écrit le 15 mars 1791 puis solennellement, après son retour à Dol, le 17 avril suivant, à l’issue d’une grand-messe célébrée dans la cathédrale (2).

L’abbé Guillot afficha dès lors le plus bel enthousiasme révolutionnaire : il célébra un Te Deum après l’arrestation du roi à Varennes, organisa la réception patriotique du nouvel l’évêque constitutionnel d’Ille-et-Vilaine, Claude Le Coz, procéda à l’enlèvement d’objets du culte d’une église rattachée à sa paroisse, etc. Cette attitude lui valut en retour, de la part d’une population restée fidèle au clergé insermenté, une opposition qui vira parfois à l’émeute.

Abandonné par des ouailles qui avaient déserté la cathédrale, l’abbé Guillot se trouva bientôt isolé au milieu d’une ville hostile. Ses trois sœurs, qui résidaient à Saint-Malo, lui conseillèrent alors de rétracter son serment, ce qu’il finit par faire publiquement le 23 octobre 1791. Ce retournement lui attira cette fois les foudres des jacobins locaux qui le malmenèrent au point que le prêtre se résolut à quitter Dol le 3 janvier 1792.

Jacobin le jour, « évêque » des réfractaires la nuit

Après quelque temps passéà Saint-Malo, puis un bref retour à Dol, l’abbé Guillot partit à Paris pour y prendre un nouveau départ. Il commença par se défroquer, se montra en société en parfait jacobin, et ne tarda pas à changer son nouvel habit laïc pour un uniforme en s’engageant dans la garde nationale. Cependant, menacé par son ancien statut de curé rétractéà une époque où la violence s’abattait toujours plus durement sur le clergé réfractaire, il s’éclipsa un temps à la faveur d’une mission en Guyane, qu’il ne put mener, faute d’avoir pu embarquer à Bordeaux.

Lors de ce périple, il fit escale chez une parente à Poitiers, où il décida finalement de s’établir. Il prit pension dans le Collège de cette ville et fut admis comme tout bon jacobin au sein de la Société populaire de la ville. Il joua toutefois un étrange double jeu car il fréquentait en même temps le milieu réfractaire local, notamment les Filles de la Sagesse, clandestinement bien sûr, et en fabriquant de faux documents afin d’éloigner les soupçons.

C’est là que son goût pour les honneurs le poussa à s’attribuer un titre d’évêque in partibus d’Agra, une ville au nord de l’Inde, donnant à ses affirmations toute l’illusion de la vérité. Personne parmi les religieux proscrits n’avait le loisir de vérifier cette nouvelle qui se répandit jusqu’à Saint-Laurent-sur-Sèvre, siège de la congrégation de la Sagesse, à telle enseigne qu’un habitant de Mortagne-sur-Sèvre s’adressa à lui pour obtenir une dispense en vue d’un mariage.

Un prisonnier républicain
devenu président du Conseil supérieur des Vendéens

La situation se tendit au début de l’année 1793 en raison de la levée des 300.000 hommes pour la guerre sur les frontières et de l’afflux vers Poitiers de bataillons envoyés combattre en Vendée. Craignant que ses activités religieuses ne fussent mises au jour, ce qui l’aurait immanquablement conduit à l’échafaud, le faux évêque chercha un moyen de fuir Poitiers sans éveiller la méfiance des autorités. Il trouva une occasion inespérée en s’enrôlant dans un détachement de volontaires qui devait renforcer les troupes du général Quétineau à Bressuire, ce qui ne pouvait qu'assurer de son bon patriotisme.

Sa carrière militaire, de courte durée, s’acheva à la bataille de Thouars, le 5 mai 1793. Guillot la vécut loin du feu, caché dans une maison. Il ne put cependant échapper au sort des soldats républicains faits prisonniers au soir de cette victoire des insurgés. Grâce à son culot et à son art consommé du mensonge, il parvint à s’approcher du quartier général, fit valoir sa qualité d’ancien curé de Dol chassé de son église ainsi que son titre d’évêque d’Agra, chargé par le Pape « d’exercer les fonctions de vicaires apostoliques dans les provinces de l’Ouest » (3). En le reconnaissant, l’un de ses anciens condisciples au Petit Séminaire d’Angers, Villeneuve du Cazeau, se fit le garant de son identité, et par là même de l’ensemble de ses prétentions.

Dès lors le faux évêque reçut plus d’honneurs qu’il n’eût pu en espérer. Après la prise de Fontenay le 25 mai, bataille à laquelle il assista, il fut promu président du Conseil supérieur établi à Châtillon-sur-Sèvre, chargé d’administrer les territoires libérés par les Vendéens. Un arrêté du 1er juin le désigna en outre comme chef du clergé (4) en raison de la juridiction qu’il prétendait avoir obtenue du Saint-Siège. C’est ainsi qu’il s’octroya le droit d’accorder des dispenses de parenté, comme ce fut le cas à La Varenne, en Anjou.
  

6 L 34 3Lettre adressée par l'évêque d'Agra au curé de La Varenne
avec détail du sceau (A.D. 49, 6 L 34)
  

Une curieuse dispense accordée par l’évêque d’Agra

Les Archives du Maine-et-Loire conservent une lettre de Guillot de Folleville, signée de sa main et portant encore un petit sceau de cire noire, adressée à M. Lagrange, desservant de la paroisse de La Varenne, en date du 25 ou 26 septembre 1793 (le jour est raturé). Voici ce qu’on y lit :

J’ai reçu ici, Mon Révérend Père, où je suis retenu par des excès de fièvre assez violents, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser à Châtillon.

Je vous accorde bien volontiers, Monsieur, pour ce que vous me demandez relativement au mariage en question, quoique bien certainement les personnes semblent ne mériter guère les grâces de l’Église. Au reste, je m’en rapporte à votre prudence sur le tout.

Je vous donne même une fois pour toutes les mêmes pouvoirs, Mon Révérend Père, même pour les dispenses de parenté jusqu’au 2e degré exclusivement, pensant bien que vous m’en userez qu’avec sagesse et économie.

Dieu veuille ouvrir les yeux aux malheureux égarés de la paroisse que vous desservez !

N’ayez aucune inquiétude, Mon Révérend Père, relativement à vos pouvoirs dans le for intérieur. Ceux qui vous sont accordés par Mrs les vicaires généraux de Nantes vous suffisent. J’y joins bien volontiers ceux qui dépendent de moi, c’est-à-dire ceux réservés immédiatement au St Siège.

J’eusse été bien charmé de faire votre connaissance à mon passage dans vos cantons.

Je me recommande à vos prières et suis avec les sentiments les plus distingués en Notre Seigneur,

Mon Révérend Père.

Signé : Votre très humble et obéissant serviteur G. Ev. d’Agra, vic. du St Siège ap. (vicaire du Saint-Siège apostolique)

À Monsieur des Hautels père, membre du conseil de Champtoceaux, pour faire tenir s’il lui plaît à Monsieur de La Grange, desservant catholique de La Varenne (5)

Il ne se trouve, dans l’état civil de La Varenne, qu’un mariage pouvant correspondre à cette demande du curé : celui de Joseph Étourneau (Champtoceaux 1735 – La Varenne 1808) et Marie-Madeleine Brillaud (La Varenne 1750 – La Varenne 1821), mariés le 29 septembre 1793.

D’après Jean-Marie Augustin, Alphonse de Lagrange, un chartreux qui dessert la paroisse de La Varenne, aurait adressé cette demande à l’évêque d’Agra afin que ce dernier accorde « une dispense de parentéà des jeunes gens qui désirent se marier malgré leur cousinage » (6). Or le couple de Joseph Étourneau et Marie-Madeleine Brillaud n’est apparemment pas lié par un quelconque degré de parenté, ni par les pères et mères (Pierre Étourneau et Perrine Moreau ; René Brillaud et Gabrielle Cesbron), ni par les grands-parents (7), ni même par les arrière-grands-parents (8).

L’évêque d’Agra paraît d’ailleurs moins insister sur les dispenses de parenté que sur le comportement des futurs époux, de « malheureux égarés de la paroisse » qui « semblent ne mériter guère les grâces de l’Église ». Qu’avaient-ils donc fait pour mériter un tel jugement ? La lettre envoyée par le curé de La Varenne aurait pu en donner tous les détails, mais elle n’est, hélas, pas parvenue jusqu’à nous.
  

6 L 34 1Extrait de la lettre de l'évêque d'Agra au curé de La Varenne (A.D. 49, 6 L 34)
  

« Évêque d’Agra » jusqu’à l’échafaud

Les chefs de la Vendée ne furent pourtant pas dupes de l'imposture de leur évêque. L’abbéÉtienne Bernier l’avait percée à jour depuis longtemps. Cet ancien curé de Saint-Laud d’Angers, réfractaire au serment constitutionnel, avait rallié l’insurrection après la prise de Saumur (9 juin 1793). Son intelligence, sa force de travail, mais aussi sa ruse lui donnèrent assez d’ascendant pour être admis au sein du Conseil supérieur et d’y acquérir bientôt une place prépondérante, les autres membres ne pouvant rivaliser avec ses compétences, ni avec son ambition.

Passé l’euphorie de sa victoire de Thouars, l’état-major vendéen ne croyait plus, lui non plus, en ce prétendu évêque, à l’exception de Lescure (9). Bon nombre d’officiers en plaisantaient même tout bas (10) et ne voyaient d’intérêt dans cette illusion que pour soutenir le moral des combattants, tâche à laquelle l’intéressé mettait, il est vrai, beaucoup de cœur.

Guillot de Folleville passa tranquillement l’été 1793 à Beaupréau, avant que ses mensonges ne le rattrapent. Un émissaire débarqué de Jersey apporta en effet un bref du pape Pie VI, lequel dénonçait l’imposture du pseudo-évêque d’Agra. L’abbé Bernier, à l’origine de la demande adressée au Saint-Siège, feignit la surprise, et les chefs vendéens gardèrent le secret. Les offensives républicaines exerçaient sur eux des pressions autrement plus urgentes, qui les firent céder à Cholet le 17 octobre.

Entraîné dans l’expédition d’outre-Loire, Guillot de Folleville finit par se livrer à l’ennemi à l’une des portes d’Angers, à la fin du mois de décembre. Il se présenta d’abord comme le secrétaire de Lescure. Conduit devant le comité révolutionnaire de la ville le dimanche 5 janvier 1794, il fut longuement interrogé, esquiva habilement les questions, puis finit par lâcher qu’il était connu « sous le nom d’évêque d’Agra » (11).

Le sentence tomba immanquablement : la commission militaire le condamna à mort et l’envoya ce jour-là, vers quatre heures du soir, à l’échafaud dressé sur la place du Ralliement. Le lendemain, le représentant Francastel envoya le jugement à la Convention, tandis que le surlendemain le général Westermann offrait à la même assemblée « un reste des dépouilles sacerdotales de l’évêque d’Agra » (12), sans avoir idée, l’un comme l’autre, de l’imposture de Guillot de Folleville.
  


Notes :

  1. Urbain-René de Hercé (Mayenne 1726 – Vannes 1795), évêque de Dol. Réfractaire au serment constitutionnel, il s'embarqua à Saint-Malo pour l'Angleterre en octobre 1792. Il rentra en Bretagne lors de l'expédition de Quiberon, débarqua à Carnac le 28 juin 1795, fut capturé et conduit à Auray, puis exécutéà Vannes le 28 juillet suivant.
  2. Cathédrale qui n’en était plus une depuis la suppression du diocèse de Dol. L’abbé Guillot ne dut pas moins savourer le fait d’occuper en quelque sorte la place de Mgr de Hercé qui, lui, avait refusé de prêter le serment constitutionnel.
  3. Jean-Marie Augustin, Le faux évêque de la Vendée, 1994, p. 182.
  4. F. Uzureau, Guillot de Folleville guillotinéà Angers (1764-1794), L’Anjou historique, 1941, p. 78.
  5. A.D. 49, 6 L 34.
  6. Jean-Marie Augustin, op. cit., p. 235.
  7. Jean Étourneau et Jeanne Coiscault ; Pierre Moreau et Julienne Épinay ; Nicolas Brillaud et Perrine Gasnier ; Julien Cesbron et Gabrielle Rigaud.
  8. Claude Moreau et Françoise Chesne ; Pierre Épinay et Mathurine Émeriau ; Mathurin Brillaud et Jeanne Grasset ; Jean Gasnier et Vincente Amprou ; Jean Cesbron et Françoise Pesnot ; Étienne Rigaud et Jeanne Durassier. Je n’ai pas trouvé les parents de Jean Étourneau et Jeanne Coiscault.
  9. Jean-Marie Augustin, op. cit.,p. 207.
  10. Amédée de Béjarry, Souvenirs Vendéens, rééd. Pays et Terroirs, p. 88.
  11. Jean-Marie Augustin, op. cit.,p. 320.
  12. F. Uzureau, op. cit.,p. 84.
        

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