Les Amis du Pont-Paillat se sont donné rendez-vous hier après-midi à Mallièvre pour une promenade à travers les ruelles de ce bourg vendéen si pittoresque, mais aussi pour une visite exceptionnelle du château de la Boulaye, dont les ruines virent passer Lescure, La Rochejaquelein, Stofflet, Charette, Sapinaud, Marigny, Talmont, et bien d’autres personnages célèbres de la Grande Guerre de 1793.
Le vieux château de la Boulaye et sa chapelle (à gauche du porche)
Au départ du Domaine, sur la rive gauche de la Sèvre nantaise, Richard Lueil a brièvement rappelé aux participants le passage de la colonne infernale du général Boucret à Mallièvre, le dimanche 26 janvier 1794. Cet épisode est évoqué le lendemain dans une lettre du commandant de la place de Cholet :
« Je t’envoie, général, un citoyen dont le patriotisme est reconnu, il est maire du bourg de Mallièvre. Son village s’est conservé patriote au milieu de brigands. Le général *** (Boucret), à son passage, a brûlé et incendié toutes les maisons de Mallièvre, à l’exception de celle de la municipalité et de la sienne. Elles sont maintenant le refuge de trois cents individus, dont cinquante hommes… » (1)
Le maire de ce bourg patriote s’appelait Pascal Redier, un tanneur probablement originaire de l’Hérault (2). D’après Chassin, il resta prisonnier des insurgés pendant sept mois, avant d’être libéréà Châtillon-sur-Sèvre (Mauléon) lorsque les républicains reprirent la ville en octobre 1793.
Promenade dans les rues de Mallièvre, ici Guy Jacob devant la maison d'Henri Biron, fils du sculpteur choletais Stanislas Biron, avec ses deux chiens en terre cuite
La commune de Mallièvre, la plus petite de Vendée par la superficie, se limite au bourg, ce qui peut expliquer qu’elle ait penché du côté républicain, alors que la campagne environnante, de Treize-Vents aux Épesses, avait clairement pris le parti de l’insurrection. Elle eut cependant plusieurs martyrs cités dans le Livre d’or de la Vendée publié dans La Semaine religieuse du diocèse de Luçon (3) :
- Pierre Blanchard, 28 ans, condamnéà mort à Nantes le 4 janvier 1794.
- Thérèse-Rose Hérault, née à Mallièvre le 20 décembre 1754, épousa à Cholet, le 20 mai 1776, Pierre Cesbron des Crances (ou Descrances), riche négociant textile, décédéà Cholet le 31 mars 1791. Le Dictionnaire du Maine-et-Loire de Célestin Port dit qu'elle fut arrêtée près de Montjean le 16 mars 1794. Elle comparut devant la commission militaire et fut condamnée à mort et guillotinée sur la place du Ralliement le 22 mars, en chantant des psaumes. Sa maison existe toujours à Cholet, au n°25 de la rue du Devau. C'est une grande maison bourgeoise construite en 1775. La ville de Cholet a posé une plaque de bronze en 1993 en souvenir de cette martyre, à droite du portail.
- La veuve Sallé, conduite à Doué avec 22 détenus, sur ordre du comité révolutionnaire de Cholet, morte à Doué en décembre 1793. Il s’agit probablement de Marguerite Fonteneau, qui avait épousé Victor Salléà Mallièvre, le 6 juillet 1784. Victor Sallé, fabricant de papier, a été le témoin du mariage d’un Pierre Guesdon le 10 septembre 1783 à Mallièvre.
- Pierre Guesdon, 47 ans, meunier au moulin Baudry, fusillé aux Épesses le 30 novembre 1793.
- Jean-Marie Allain, 38 ans, condamnéà mort par la commission Bignon et exécutéà Nantes le 6 janvier 1794.
Notre groupe a suivi le chemin de randonnée qui serpente au pied de la motte féodale, jusqu’au lavoir, avant de se diriger vers l’église Saint-Gilles et de revenir, au terme d’une agréable flânerie dans les ruelles de Mallièvre, à notre point de départ.
Le trésor de l'église Saint-Gilles de Mallièvre
Le château de la Boulaye
La seconde étape de cette sortie dominicale fut le château de la Boulaye, entre Mallièvre et Treize-Vents (attention : propriété privée, non accessible au public). Situé au cœur d’un vaste parc arboré, loin des regards, ce lieu nous a été ouvert grâce à l’intervention de Guy Jacob et Pierre Périeau auprès des propriétaires, M. et Mme Payre, qui s’investissent avec beaucoup d’énergie dans la sauvegarde des lieux et leur animation (4). C’est d’ailleurs Mme Véronique Payre qui nous a aimablement invités à une visite complète.
Après la traversée du parc, véritable forêt dense enveloppant un vaste étang enserré par trois coteaux, nous avons découvert au sommet de ce site, sur un plateau bien dégagé, un large panorama ouvert à l’ouest sur la vallée de la Sèvre nantaise. On distingue d’ailleurs sans difficultés le Puy du Fou sur l’autre rive, à plus de 6 km, les tribunes de la Cinéscénie, ainsi que le nouvel hôtel Le Grand Siècle.
Les parties les plus anciennes de la Boulaye se composent des ruines du château des XVe et XVIe siècles (5) : à gauche une tour ronde, et à droite, prolongés par un logis, les vestiges d'une seconde tour à pan coupé, à laquelle on accède par une porte ornée d’éléments Renaissance, notamment d’un blason de la famille Eschallard qui posséda le domaine du XIVe au XVIIe siècle. On peine à se figurer quelle était l’architecture du bâtiment avant sa destruction partielle sous la Révolution. Le cadastre napoléonien de Treize-Vents (ci-dessous), daté de 1839, laisse pourtant deviner que cet ensemble de constructions formait l'aile nord du château, l'aile est et une partie de l'aile sud qui la raccordait aux actuels communs ayant disparu.
Le château de la Boulaye sur le cadastre de 1839 : les parties ruinées sont représentées en pointillés ; celles qui sont en jaune ont disparu, celles qui sont en rouge forment l'aile nord visible aujourd'hui avec la chapelle et les deux tours.
La visite guidée par Mme Payre
Le souvenir de Lescure à la Boulaye
On oublie bien souvent la place centrale qu’occupa le château de la Boulaye pendant les Guerres de Vendée, alors que ces vénérables murs ont accueilli tant de grands noms. Il fut aussi le refuge de Mme de Lescure, future marquise de La Rochejaquelein, qui en parle à de nombreuses reprises dans ses Mémoires.
Le château appartenait alors à François Sonnet d’Auzon. « En 1793, c’était un vieillard infirme, sans enfant, très respectable, proche parent et même tuteur du général vendéen, Louis-Marie de Lescure, chez lequel il se trouvait, au château de Clisson en Boismé, lors du soulèvement. Il ne prit pas part à la guerre, mais, dès le 4 mai 1793, il revenait à la Boulaye, plus proche du centre du soulèvement, avec Madame de Lescure, future Madame de La Rochejaquelein, sa mère, la marquise de Donnissan, et plusieurs autres parents » (6).
Le général de Lescure, lui-même, séjourna ici à plusieurs reprises pour soigner ses blessures ; l’endroit était bien moins exposé que son propre château de Clisson à Boismé, et permettait d'autre part d'observer les alentours. Il y passa quelques jours après la 2e bataille de Fontenay (25 mai 1793), avant de repartir en campagne le 1er juin, pour rejoindre La Rochejaquelein aux Aubiers, et marcher sur Saumur qui tombera le 9 juin. Il revint à la Boulaye le 14 juin pour une nouvelle convalescence. Son épouse raconte dans ses Mémoires que lorsqu’elle l’apprit (elle se trouvait à La Pommeraie-sur-Sèvre) elle sauta aussitôt sur « un mauvais petit cheval » et fit une course échevelée pour le rejoindre (7).
À peine remis de ses blessures, Lescure reprit les armes pour aller battre les Bleus à Parthenay, le 30 juin. L’offensive tourna cependant à l’avantage des républicains commandés par Westermann qui s’avança jusqu’à Châtillon-sur-Sèvre, ce qui jeta l’alarme à la Boulaye, dont les occupants s'enfuirent par Mallièvre vers Concize. Le sursaut des Vendéens leur permit de reprendre la ville et d’y décimer l’ennemi. Lescure put donc rentrer sereinement dans ce château, qu’il quitta à nouveau pour prendre part à la funeste 3e bataille de Luçon, le 14 août.
Ici, en 1793, passèrent Lescure, La Rochejaquelein, Marigny, Tamont, etc.
Un émissaire de l’Angleterre à la Boulaye
Revenu à la Boulaye, Lescure se remettait de cette cruelle défaite, lorsqu’un émissaire du gouvernement britannique se présenta à lui le 18 août. Il s’agissait du chevalier de Tinténiac. Débarqué en Bretagne, il avait passé la Loire et s’était trouvé un guide dans la division de Lyrot, M. de Flavigny, qui le mena à la Boulaye, « où on était toujours sûr de trouver des généraux assemblés » (8).
Il y avait là, en effet, non seulement Lescure, mais aussi La Rochejaquelein, Donnissan, Talmont et Marigny. Tinténiac leur transmit les dépêches de Londres. L’Angleterre désirait connaître les buts du soulèvement, l’étendue du territoire, le nombre de combattants, les ressources en armes et munitions, etc. Lescure remplit le questionnaire, que la plupart des officiers signèrent, à l’exception de Marigny qui se méfiait des Anglais, sans oublier l’évêque d’Agra présent lui aussi à la Boulaye. Tinténiac se rendit également auprès de d’Elbée, avant de repasser la Manche sans trop d’encombres (9).
À l'intérieur de la tour ronde
Le trésor perdu de la Boulaye
Lorsque les choses se gâtèrent, en octobre 1793, la Boulaye fut évacuée pour de bon. Le vieux M. d’Auzon prit soin de dissimuler un important trésor, avant de quitter sa demeure aux côtés de Lescure et de son épouse. Il était accompagné en outre d’un de ses domestiques, Pierre Soulard, de Saint-Mars-la-Réorthe, qui le suivra dans la Virée de Galerne, et de son régisseur, un certain Sérit, qui ne fit la route que jusqu’à Cholet. Ce dernier ayant appris de son maître oùétait caché le trésor, le quitta pour s’occuper du domaine. Était-il bien intentionné… ?
De retour à la Boulaye, Sérit chercha à l’endroit indiqué, mais ne trouva rien. Il éleva alors un arceauà un endroit où une statue de la Vierge Marie était vénérée dans un chêne creux, et déposa cette même statue dans cette petite chapelle. Les gens du pays continuèrent de venir invoquer cette dernière, en particulier ceux qui, inspirés par cette histoire, désiraient retrouver des objets perdus.
La porte du château et celle de la chapelle de la Boulaye
La chapelle et le serment de la Boulaye
Le château de la Boulaye fut incendié au début de l’année 1794, probablement lors du passage de la colonne du général Boucret, le 26 janvier. Le feu dut toutefois préserver les communs, qu’on voit aujourd’hui, puisque les chefs vendéens encore vivants y rassemblèrent leurs troupes le 22 avril 1794. Il y avait Stofflet pour l’armée d’Anjou, Sapinaud pour l’armée du Centre, Marigny pour l’armée du Poitou et Charette pour celle du Marais et du Bas-Poitou.
Faute d’avoir pu désigner l’un d’eux comme général en chef, ils prêtèrent ensemble un serment d’assistance mutuelle. Cet événement historique se déroula dans la chapelle, que Mme Payre nous a présentée dans le décor qu’elle s’attache à reconstituer afin de donner une nouvelle vie à cette pièce longtemps restée à l’abandon, ou à l’état de remise.
Richard Lueil a rappeléà cette occasion l’histoire de ce serment de la Boulaye, ses conséquences immédiates dans l’affaire de Chaudron-en-Mauges (24 avril 1794) et ses suites dans la mort de Marigny.
L'intérieur de la chapelle de la Boulaye
La visite commentée par Mme Payre
Les intérieurs du château
Nos hôtes nous ont ensuite guidés à l’intérieur du vieux château ruiné qui conserve, en rez-de-chaussée et dans sa tour ronde, plusieurs pièces visitables à l’atmosphère étrange, où flotte le souvenir fané de soirées des années 70 qui s’inspiraient davantage des goûts de Choderlos de Laclos, que de la piété de Lescure.
L’imagination parvient pourtant à se raccrocher à quelques éléments d’architecture ou du décor, comme la bibliothèque et son escalier à vis en bois, pour tenter de se projeter au temps où le château de la Boulaye constituait l’un des épicentres de l’insurrection vendéenne.
La visite s’acheva ici. Après la traditionnelle photo de groupe et le verre de l’amitié gentiment offert par nos hôtes, chacun a pu regagner ses pénates. Rendez-vous à la prochaine sortie des Amis du Pont-Paillat qui fera la part belle à Marigny !
Derniers coups d'œil au vénérable château de la Boulaye
Le Domaine de la Boulaye propose des séjours dans des lodges disséminés dans le parc. Pour en savoir plus : www.domaine-de-la-boulaye.com
Notes :
- J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, t. III, p. 88. La date du 26 janvier 1794 est plus précisément citée dans le journal du brigadier Graviche, publié sur le blog de La Maraîchine normande.
- A.D. 85 AN B II 31-2, pièces 4 et 5. Ce patrynome est assez rare à l’époque dans la région. On le trouve dans un mariage aux Herbiers, le 14 janvier 1783, entre Pascal Redier, originaire du Petit-Galargues (Hérault) et résidant à La Tessoualle, avec Rose Luçon.
- Maryvonne Mênard, Histoire du pays de Mortagne, t. II, p. 139.
- L’association Serment de la Boulaye a été créée pour préserver, valoriser et réhabilliter le patrimoine architectural et historique de ce site.
- André Laurentin, Le Haut-Bocage. Monuments, sites, histoire, 1993, p. 112.
- Jean Lagniau, La Boulaye… haut lieu de la Vendée militaire, Revue du Souvenir Vendéen n° 174 (mars-avril 1991), p. 12.
- Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889, p. 181. Cette course fut telle que la jeune femme avoue que depuis ce jour elle n’eut plus jamais peur à cheval.
- Ibidem, p. 210.
- G. Gautron, Les Chouans émissaires de l’Angleterre auprès de l’Armée vendéenne, Revue du Souvenir Vendéen n°142 (avril-mai 1983), pp. 6-8.