Les curés de Saint-Martin-de-la-Place, un bourg sis sur la levée de la Loire en aval de Saumur, ont eu la bonne idée de relater l’histoire de leur paroisse à la fin d’un de leurs registres. Outre des anecdotes locales émaillées de crues dévastatrices, on peut y lire une relation détaillée d’une des plus fameuses batailles des Guerres de Vendée.
Extrait du registre paroissial de Saint-Martin-de-la-Place relatant la bataille de Saumur (A.D. 49)
Ces « Remarques curieuses de l’église et paroisse de St Martin de la Place sur la levée de Loire prez Saumur en Anjou » s’étalent sur vingt pages à la fin d’un des plus vieux registres allant de 1552 à 1640. Une première partie couvrant le XVIIe siècle expose dans un texte assez dense des considérations sur la vie paroissiale : baptêmes, mariages, sépultures, travaux dans l’église, etc., suivies d’une liste des curés qui se sont succédé de la fin du XVe au tout début du XIXe siècle.
Les pages suivantes (de 181 à 183) énumèrent « les ruptures des levées faites par les eaux rapides et fougueuses de la Loire », un fléau bien connu de toutes les paroisses de la Vallée. Les inondations les plus marquantes à Saint-Martin-de-la-Place y sont décrites depuis celle de 1615 jusqu’à celle du 14 juillet 1792 qui, malgré la saison estivale, fut « une crue de la rivière de Loire (…) des plus considérables, ce qui occasionna une perte d’autant plus grande qu’elle fut très subite, la rivière croissant de plus d’un pied (un peu plus de 30 cm) par heure ».
Cette mention fut probablement rédigée par le curé de l’époque, Michel-Pierre Launay, d’après l’écriture qu’on peut comparer à celle du registre de 1792. Ce prêtre inscrivit son dernier acte le 20 octobre 1792, date à laquelle l’état civil passa entre les mains du maire, René Milsonneau, le vicaire de la paroisse. Tous deux avaient bien évidemment prêté le serment constitutionnel comme la grande majorité des ecclésiastiques du Saumurois et de la Vallée. L’abbé Launay réapparaîtra quelques pages plus loin, au 13 janvier 1793, mais cette fois en tant qu’officier public.
9 juin 1793, la prise de Saumur par les Vendéens
C’est donc a priori à Michel-Pierre Launay que l’on doit la description détaillée du principal événement de la Révolution, pour ne pas dire le seul, notée la suite de la chronique paroissiale. Il l’intitula : « Prise de la ville de Saumur par les Rebelles se disant l’armée catholique et royale, le dimanche 9 juin 1793 ». En voici la transcription et la carte pour localiser les mouvements des troupes :
Carte de la bataille de Saumur (9 juin 1793) localisant les sites mentionnés dans la description du registre de Saint-Martin-de-la-Place. À noter que la route de Doué (et de Cholet) passait à l'époque plus au nord de l'actuelle qui est plus rectiligne, et que celle de Montreuil-Bellay longeait davantage le Thouet.
La position de la ville de Saumur n'aurait jamais du faire soupçonner quelle eut pu tomber au pouvoir des Rebelles. Cette ville n’étoit susceptible d'être attaquée que par deux points, l'un du côté de Douéà la gauchedu Thouet par le pont Fouchard et St-Florent ; et l'autre à la droite de cette rivière par Varrains et les hauteurs qui s'étendent jusqu'au moulins à vent au dessus du fauxbourg de Fenet le long de la Loire. Le côté de Doué déjà bien deffendu par la seule position du terrein avait été fortifiée de deux redoutes sur la butte de Bournan et achevoit de mettre la ville à l’abri de toute atteinte de ce côté là. Le côté de Varrains avoit été négligé et n'avoit pas eté fortifié comme il aurait pu et dû l'être, aussi l'ennemi profita-t-il de cette faute pour faire la principale attaque de ce côté. Cependant on avoit construit une redoute à la sortie du fauxbourg de Nantilly, à la jonction des chemins de Varrains et de Chintre ; moïen de deffense qui aurait peut être suffi pour sauver la ville, si on eut posté dans cet endroit un nombre suffisans de troupes experimentées ou agueries. Presque toute l'infanterie se trouvait au camp de Bournan au moment où les Rebelles furent appercus se porter sur la ville par Varrains et ses hauteurs au dessus de ce bourg. Il n’y avait pour lors qu'un bataillon de gardes nationales du Département de Maine et Loire et quelques detachemens qui occupoient la redoute du chemin de Varrains. Il y avoit aussi 250 volontaires de recrutement du district de Saumur cantonnés dans la maison de Notre Dame (des Ardilliers) le long de la Loire, mais qui mal armés et sans officiers n’étoient guère en état de deffendre le chemin de Chinon.
Le dimanche 9 juin dans la matinée on appercu la tête des colonnes ennemie en marche, ce que l'on prit pour un détachement en postes avancés, ne pouvant se persuader qu'ayant été battu et perdu beaucoup de monde la veille entre Montreuil(-Bellay) et Thouars, il eut pu se rassembler et venir attaquer Saumur en aussi grand nombre qu'il étoit véritablement. À une heure trois quarts après midi le district et la municipalité envoièrent des députés pour manifester leurs vives inquiétudes à la commission centrale et au général Duhoux qui, quoique dans son lit pour cause de blessure, conservoit de l'influence sur les opérations militaires. Ces deputés recurent des réponses tranquilisantes, dans la persuasion où l'on étoit que le gros de l'ennemi n’étoit pas proche ; mais bientôt l'illusion fut evanouie.
La générale battit à deux heures et on ne doutait plus que la ville alloit être attaquée à la droite du Thouet et que le camp de Bournan ne servirait à rien pour sa défense. On apperçut deux bataillons qui se portèrent avec du canon sur les moulins, où les rebelles arrivoient déjà. Ces bataillons eurent en arrivant du succès et repoussèrent l'ennemi quelques cens toises. Mais il n’étoit plus tems de prendre les positions avantageuses qu'on eut pu prendre plutôt. Deux autres bataillons qui devoient monter par le chemin de la Gueule de Loup, afin de garnir les hauteurs du centre, protéger la route du chemin de Varrains et empécher qu'elle ne fut prise en flanc arriverent trop tard. Les Rebelles étoient déjà maitre des hauteurs. Cette redoute n’étant point appuiée sur sa gauche fut assaillie et emportée sans resistance par une bande de ces Rebelles qui, par le chemin creux de Chintre, s'en approcha à portée de pistolet sans être apperçu.
Une partie de la cavalerie qui s’étoit portée dans le chemin de Varrains avoit deja pris la fuite, tandis que les bataillons s’avançoient sur les moulins. Les cavaliers cherchant à gagner les ponts, se mélaient avec les chariots qui sauvoient leurs bagages, dont le départ precipité achevoit de répandre l'alarme. En vain les commissaires de la Convention nationale tentoient par leurs discours à ranimer en eux les sentiments d'honneur qui devoient les faire retourner au combat ; tous leurs efforts furent vains, ils eurent la douleur, ainsi que les bons citoyens de voir la ville abandonnée presque sans résistance.
Les deux bataillons qui s’étoient avancés au delà des moulins furent obligés de reculer ; dès lors il n’y eut plus d'espoir. Les ennemis se répandirent dans la ville par le fauxbourg de Fenet, en descendant le coteau, au delà de la maison de Notre Dame, par la descente des Ursules, celle de la Gueule de Loup et par le fauxbourg de Nantilly.
Scène de la bataille de Saumur extrait de La France militaire
Le reste de la cavalerie qui n’avoit aucun moyen de prendre de position avantageuse, ne faisoit en parcourant les rues, qu'augmenter le désordre. Dans cet instant arrive un nouveau détachement de cavalerie qui se porte vers l’église de Nantilly ; mais il revient aussitot, n’y ayant plus de moyen de se défendre dans l'intérieur de la ville. Le seul dont on eut pu attendre du succès étoit si les bataillons restés au camp de Bournan se fussent portés vers la ville et eussent tomber sur les Brigands, pendant que le chateau occupé par des grenadiers de la ville, des volontaires de Loche (Loches, Indre-et-Loire) et une compagnie de canoniers soutenoient son feu avec activité. L'ennemi ne tarda pas à courir au pont Fouchard pour s’y emparer du passage et empêcher cette manœuvre dans le cas où on aurait voulu la mettre en exécution.
Le dernier acte de la cavalerie fut la défense du passage du pont neuf lorsque les Rebelles furent dans la ville ; mais c’étoit une bien faible repponce ; pour qu’elle eut eu de succès, il eut fallu du canon et de l'infanterie, mais tout avoit pris la fuite.
Au moment de l'action, il y eut deux ou trois canons encloués sous la halle à côté d’une sentinelle, par un nommé François, garde magasin, qui fut pris et exécuté a Tours.
On voit combien peu il en a coûté aux Rebelles pour se rendre maitres de cette ville importante. Le chateau se rendit le lendemain, n'ayant point de vivres et peu de munitions et à la sollicitation de la ville qui étoit menacée par les Rebelles d'être brulée à l'entier si le chateau ne se rendoit pas.
De même que l'attaque imprevuë n'avoit pas laissé le temps de disposer des moyens de défense, aucune mesure aussi ne fut prise pour effectuer la retraite, aucun point de ralliement ne fut indiqué, chacun pris à sa guise l'une des routes de Tours, la Flèche et Angers qui partent du fauxbourg de la Croix Verte. De sorte que ces trois routes étoient à peine assez large pour contenir les fuyards, tant la deroute fut complette.
L'ennemi entra dans Saumur au nombre de 30 à 40 mille hommes ; dès le lendemain une partie l'évacua et se retira du côté de Doué qu'il avait pris deux jours auparavant.
Ceux qui étoient restés dans Saumur y passèrent jusqu'au 20 ; pendant ce temp ils y firent beaucoup de ravage, pillèrent totalement plusieurs maisons, surtout celle de l'abbé Cailleau située au bourg du pont neuf (à l’extrémité nord du Pont Cessart), chez lequel étoient logés les commissaires de la Convention et où se tenait la commission centrale. Ils vidèrent presque toutes les caves et laissèrent très peu de vin dans la ville et les environs, emmenèrent du côté de Chollet une grande quantité de vivres et de munitions qu'ils y trouvèrent. Ils se répandirent dans les campagnes voisines et y firent beaucoup de dégas, brulèrent dans toutes les paroisses, les écharpes, les papiers et registres concernant les municipalités, prirent et emmenèrent les chevaux qu'ils trouvaient chez les particuliers. Enfin le 20, ayant appris qu’il se faisoit à Tours un rassemblement considérable et ne trouvant plus rien à piller à Saumur, en partirent au nombre d'environ dix mille pour se porter par la levée sur Angers où ils ne trouvèrent aucune résistance, toutes les troupes et les habitans ayant délogé après la prise de Saumur. Les Rebelles qui étoient demeuré dans cette dernière ville au nombre de 7 a 8 cens, 7 restèrent jusqu'au 25, qu'ils en partirent dans la nuit avec tant de précipitation, qu'ils jettèrent par dessus le pont plusieurs canons qu'ils n'eurent pas le temps d'emmener, et se retirèrent du côté de Chollet. La perte que Saumur a éprouvé a été portée à plusieurs millions.
Grêle, orages, crues… et tremblement de terre
Après cela, la chronique fait un bond en 1799, une année marquée par le grand tremblement de terre du 25 janvier (6 pluviôse an VII) qui renversa quelques murs et cheminées, par un froid si grand que les mulets chargés pouvaient passer la Loire, et par une nouvelle crue du fleuve. Les intempéries ponctuent encore les premières décennies du XIXe siècle, entre grêle, hiver rigoureux, orages dévastateurs, et toujours les inondations, alternant avec les descriptions des travaux et aménagements de l’église de Saint-Martin-de-la-Place.
Ces pages sont consultables sur le site des Archives du Maine-et-Loire : état civil de Saint-Martin-de-la-Place, 1552 (15 juillet) – 1640 (28 mars), vues 168 à 190. La prise de Saumur apparaît aux vues 183 et 184.