Le Musée d’Art et d’Histoire de Cholet a récemment fait l’acquisition d’une étude préparatoire du tableau de Jean Sorieul représentant le passage de la Loire par l’armée vendéenne, le 18 octobre 1793.
Passage de Loire (intitulé du cartel) esquisse attribuée à Jean Sorieul pour son tableau Passage de la Loire par l’armée vendéenne, à Saint-Florent (1848)
Le magazine Synergences a annoncé l’arrivée de cette toile dans son n°625 du 12 octobre 2022. L’auteur de l’article se réfère au général Bonchamps comme sujet principal de la composition, placé dans ce décor dantesque après avoir gracié les prisonniers républicains enfermés dans l’abbaye de Saint-Florent-le-Vieil, et attendant d’être emmené sur son brancard sur l’autre rive où il expirera.
Pour ma part, j’y vois plutôt le général Lescure. Le catalogue du Salon de Paris de 1848 donne en effet une description de l’œuvre de Jean Sorieul intitulée Passage de la Loire par l’armée vendéenne, à Saint-Florent : « Le feu des villages s’élevait à l’horizon dans les ténèbres d’un ciel orageux, la foudre et la canonnade tonnaient au loin, et cette multitude épouvantée, confondue, pleurant, cherchant ses proches, ses amis, impatiente de mettre le fleuve entre elle et ses ennemis, empêchait tout ordre dans l’armée ; les blessés, les enfants poussaient des cris effroyables ; les paysans bretons encourageaient leurs frères de l’autre bord, et amenaient de frêles barques à cette foule qui s’élançait à la fois et tendait ses mains éplorées. Larochejaquelein éperdu, courait, menaçait, et voulait se faire tuer sur la rive ; Lescure, porté sur un matelas, demandait qu’on se laissât massacrer avec lui ! Général, crie Stofflet, prenons cent braves, et allons mourir à Châtillon ! » (1)
Au centre de la composition figure donc le général poitevin, grièvement blesséà la bataille de Saint-Christophe-la Tremblaye, le 15 octobre 1793, deux jours avant celle, décisive, de Cholet. Il est représenté allongé sur un brancard, alors que sa femme écrit dans ses Mémoires qu’on le portait « sur une espèce de matelas placé dans un fauteuil de paille » (2). C’est un détail qui ne nuit pas à l’identification du personnage, puisqu’on distingue Victoire de Donnissan, épouse de Louis-Marie de Salgues de Lescure, agenouillée à ses côtés, éplorée, la main sur le front (3). Le couple est entouré par deux chefs reconnaissables à leurs ceintures de soie blanche (clairement sur la version achevée du tableau, voir illustration ci-dessous) : à gauche par Henri de La Rochejaquelein, jeune homme aux cheveux blonds, portant une veste vert sombre et une culotte blanche ; à droite, Stofflet avec son bicorne, brandissant son sabre et pointant de sa main gauche la ville de Saint-Florent-le-Vieil (non visible sur l’esquisse), perchée sur un promontoire d’où se déverse un flot de combattants et de civils vendéens dans un chaos indescriptible : « Nul spectacle ne peut être plus triste, se souvient Pauline Gontard des Chevallerie. Nous voyions aborder des blessés, des femmes, des femmes, tous offrant l’image du désespoir et le faisant naître » (4).
Détails comparés des personnages autour de Lescure, entre la toile achevée (à gauche) et l'esquisse du Musée de Cholet (à droite)
La toile, dans sa forme achevée aujourd’hui conservée chez un particulier (5), n’est pas sans rappeler, par son caractère épique et son foisonnement de personnages, d’autres œuvres postérieures de Jean Sorieul, comme le Combat de Quiberon en 1795, peint en 1850 (6), et La bataille du Mans en 1852 (7).
L’esquisse est désormais exposée à l’entrée de l’espace où trône la reproduction de la statue de Bonchamps par David d’Angers.
L'esquisse a été placé autour de souvenirs de Bonchamps (la reproduction de son monument funéraire et une vitrine renfermant quelques documents relatifs au général angevin), alors que c'est Lescure que Jean Sorieul a représenté sur la toile.
Notes :
- Explication des ouvrages de peintures, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants, exposés au Musée national du Louvre le 15 mars 1848, Paris, Vinchon, 1848, p. 307.
- Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, édition critique établie et présentée par Alain Gérard, C.V.R.H., 2010, p. 272. Elle épousa en secondes noces Louis de La Rochejaquelein, frère cadet d'Henri.
- Sa présence confirme qu’il ne peut s’agir de Bonchamps sur le brancard, étant donné que l’épouse du général angevin n’était pas présente à ses côtés à ce moment-là (Mémoires de Madame la marquise de Bonchamps sur la Vendée, 1823, p. 65).
- Thérèse Rouchette, Femmes oubliées de la guerre de Vendée, C.V.R.H., 2005, p. 217.
- Cette toile porte la date de 1849 sous la signature de J. Sorieul. S’agit-il d’une seconde version de celle qui fut présentée au Salon de Paris de 1848 ?
- Musée d’Art et d’Histoire, Cholet. Il faut noter que Sorieul a placé au centre de ses deux tableaux, celui du passage de la Loire et celui de Quiberon, un trio de personnages formé d’un officier âgé qui semble soutenu par deux figures plus jeunes.
- Musée de la Reine Bérengère, Le Mans.