Une précédente étude de cartes postales anciennes nous a menés à Saint-Hilaire-de-Mortagne, à la recherche du Saut du Prêtre. Continuons dans le même secteur, cette fois au lieu-dit Saint-Philbert, sur la route de Mortagne à Saint-Laurent-sur-Sèvre.
L'entrée du chemin de Saint-Philbert aujourd'hui
« Le 24 mars 1794, lit-on sur la carte postale visible au bas de l'article, un détachement de 200 hommes commandé par Képler fut attaqué en cet endroit par les généraux vendéens, de Sapinaud, Marigny et Stofflet. Képler se fit tuer avec tous ses hommes ; trois seulement purent s’échapper, d’où le nom de pré du massacre. »
L’endroit est aiséà trouver : il a déjàétéévoquéici, à propos de la verrière illustrant la mort des frères Pelé dans l’église de Saint-Hilaire. Et l’épisode n’est auréolé d’aucun mystère : son histoire est mentionnée dans les Mémoires de Boutillier de Saint-André (pages 256 et suivantes).
En mars 1794, la ville de Mortagne-sur-Sèvre constituait un bastion républicain isolé au milieu d’un bocage hostile. Le commandant de la place, M. de Fouquerolle, disposait pour la défendre d’environ 500 hommes rassemblant des débris du 77e régiment d'infanterie, ainsi qu'une compagnie du 72e (aux ordres de Képler) et le 3e bataillon de l'Orne (aux ordres de Lenormand), réduit de plus des deux tiers par les maladies et les combats.
Boutillier de Saint-André rapporte que ces officiers, loin d'être favorables au républicanisme, « servaient à regret un gouvernement qu'ils détestaient et obéissaient avec une grande répugnance à des généraux qu'ils dénoncèrent comme des brigands infâmes, ennemis de la France, dont les crimes perpétuaient la guerre à leur seul profit ».
Privée de contact avec Saumur, manquant de munitions et de ravitaillement, la garnison de Mortagne envoya, le 23 mars 1793, un détachement de 150 hommes, auxquels on adjoignit trente à quarante habitants de Mortagne. « Commandé par Kepler, il se dirigea sur le Puy-Saint-Bonnet et avait ordre d'amener des vivres et des fourrages. Il parvint à se procurer deux charretées de farines et les conduisait à Mortagne, lorsqu'il fut attaqué par les Vendéens au nombre d'environ 6.000 hommes. Officier très brave et expérimenté, commandant à des soldats éprouvés, Képler range sa petite troupe en bataille, fait face de toutes parts et, parvenu à se dégager, dirige son convoi vers la ville.
Localisation de Saint-Philbert sur le cadastre ancien de Saint-Hilaire-de-Mortagne
(Archives Départementales de la Vendée)
« Une demi-heure après, il est encore attaqué par une armée plus aguerrie et plus nombreuse encore que la première, en un lieu nommé la Belle-Croix. Il aurait sauvé tous ses hommes s'il eût voulu abandonner ses charrettes ; mais il voulait les conserver, et il se battit encore avec le même courage. La première troupe qu'il avait combattue était celle de M. de Sapinaud, qui avait passé par Saint-Hilaire, la deuxième était commandée par M. de Marigny, qui venait de Châtillon (actuel Mauléon). Ces deux colonnes devaient se réunir sous les murs de Mortagne à celle de Stofflet et donner un assaut général. À force de bravoure, Képler parvient encore à se dégager, mais à peine avait-il repris le chemin de Mortagne où il voulait rentrer, qu'une armée plus formidable encore vient l'attaquer pour la troisième fois. C'était Stofflet, qui venait de Cholet pour coopérer au siège et qui amenait avec lui dix mille hommes.
« Affaibli par les premiers combats, cerné de toutes parts, le détachement résiste encore ; mais il succombe bientôt sous le nombre. Képler tombe un des premiers, et, après sa mort, tous ses soldats se font tuer. Il ne s'échappa que trois hommes de ce faible détachement, digne par sa discipline et par son courage d'un meilleur sort. Le combat le plus meurtrier eut lieu principalement devant la métairie de Saint-Philbert. J’y ai remarqué, écrit Boutillier de Saint-André, un chêne énorme, tout criblé de balles (aujourd’hui disparu) ; il servait aux combattants à s’embusquer, et c’était sur ce point que les feux étaient tour à tour dirigés. »
Le Pré du Massacre sur une carte postale ancienne éditée par Poupin
Forts de cette victoire, les Vendéens attaquèrent, le 24 mars, la ville de Mortagne, « entourées de quelques murailles assez mal construites », Marigny par le cimetière, Sapinaud du côté de la Sèvre et Stofflet par le chemin de Cholet à Saint-Christophe-du-Bois : 20.000 hommes selon Boutillier de Saint-André, contre 350 assiégés sans poudre et ni vivres. Faute d’artillerie, les assaillants se replièrent le soir, promettant de revenir à la charge le lendemain.
Fouquerolle, le commandant de la place, réunit alors un conseil de guerre qui décida l’évacuation immédiate de la garnison et de presque toute la population de la ville vers Nantes, dans la nuit du 24 au 25 mars 1794. Cet « abandon de poste » faillit lui coûter la vie.