À la fin du mois de mars 2014 s’est tenue une étrange audience dans le tribunal qui juge les Khmers rouges, responsables du génocide de près de 2 millions de Cambodgiens de 1975 à 1979. Saut Saing, ancien chef de la prison de Kraing Tha Chan, s’est en effet présenté non pas comme accusé, mais comme victime du régime.
Le nom du général Turreau (en haut à gauche), commandant en chef des Colonnes infernales en Vendée, sur l'Arc de Triomphe à Paris
Ancien détenu de cette sinistre prison, Say Sen a témoigné sur les atrocités auxquelles il a assisté durant les quatre années qu’il passa dans l’enfer de Kraing Tha Chan. « Saut Saing était le plus cruel de tous », a-t-il déclaré. Mais le bourreau n’a jamais été inquiété, lui qui profita du climat de terreur, même après la chute des Khmers rouges, pour garantir son impunité. Mieux, il a pu se présenter parmi les victimes devant la cour de justice censée faire la lumière sur le génocide cambodgien.
C’est un retournement de l’Histoire dont la Révolution française nous a fourni d’éloquents exemples. Citons celui de Turreau, qui mit en œuvre au début de l’année 1794 les décrets exterminateurs votés par la Convention contre la Vendée. S’estimant « exempt des remords comme des craintes qui n’appartiennent qu’aux coupables » (en préface de ses Mémoires), il s’exonéra des crimes dont on l’accusait. Un tribunal militaire jugea qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres et le réintégra dans l’armée. En somme, lui aussi n’avait été qu’une victime du régime…
(d’après Ouest-France du 27 mars 2015, Cambodge : quand le loup joue à l’agneau)