Les Journées du Patrimoine m’ont mené dimanche dernier à Clisson, charmante cité au sud des Marches de Bretagne. Ma visite de l'imposant château n’était pourtant pas motivée par l’indéniable intérêt architectural du lieu, mais par un puits chargé d’une histoire douloureuse : le « Puits des Vendéens ».
Le Puits des Vendéens dans le château de Clisson
Pour le découvrir, il faut franchir les lignes de fortifications jusqu’au grand logis. Là, au milieu d’une cour cernée de ruines immenses, émerge un puits de granit. Une plaque de bronze épouse l’arrondi de sa margelle. On y lit : « Ici, le 8 février 1794, 18 Clissonnais furent massacrés et jetés dans ce puits par la Colonne infernale du général Cordelier, et exhumés en février 1961 à l’instigation du Souvenir Vendéen. 1961-1990. »
Cette plaque fut inaugurée lors de la journée du Souvenir Vendéenà Clisson, le dimanche 30 septembre 1990. Il fut rappelé, lors des discours d’hommage aux victimes, que ce fut le Docteur Charles Coubard qui décida trente ans auparavant d’entreprendre des fouilles dans ce puits comblé, afin de faire taire certaines rumeurs colportées à travers la Vendée selon lesquelles le massacre de 1794 n’avait jamais eu lieu. « Parvenu vers le milieu, parmi les pierres et les gravats, raconta Jean Lagniau, président du Souvenir Vendéenà l’époque, on trouva d’abord la belle margelle du puits et les boulets qui y avaient été précipités sur les 18 victimes, vieillards, femmes et enfants, pour étouffer les cris de douleur de ceux qui étaient encore vivants, et dont les ossements furent retrouvés au fond du puits. » (Revue du Souvenir Vendéen, n°173, décembre 1990-janvier 1991)
Le puits caché dans l'ombre des ruines du château
La journée du Souvenir Vendéen en 1961
Le 9 avril 1961, ces ossements déposés dans un cercueil de bois reçurent l’hommage du diocèse et du Souvenir Vendéen. Ce jour-là, au cours d’une messe solennelle célébrée dans l’église Notre-Dame, Mgr Villepelet, évêque de Nantes, bénit une plaque de marbre portant les noms des huit prêtres clissonnais et évoquant la mémoire des habitants de Clisson morts pour la défense de la Foi.
Après cette cérémonie, l’assistance se rendit en procession au château de Clisson. Le cercueil y était exposé sous un drap mortuaire, entouré de quatre cierges. Par la suite, les restes des Martyrs furent inhumés dans la chapelle du Prieuré restaurée par la municipalité (voir la dernière photo au bas de l'article).
Le Puits des Vendéens et la plaque du Souvenir Vendéen inaugurée en 1990
D'après l'historienne Simone Loidreau, c'est Flavigny, un lieutenant de Cordelier,
qui serait à l'origine de cette tuerie.
Le massacre du 8 février 1794
Début février 1794… Les habitants de Clisson ont déserté la ville en grande partie dévastée par la guerre. Quelques-uns sont revenus cet hiver, en quête d’un refuge dans les ruines du château. Pensant s’y trouver à l’abri derrière les épais murs d’enceinte, ils allument un feu dans l’âtre des anciennes cuisines. Cette imprudence les fait repérer par la sentinelle républicaine qui monte la garde sur les hauteurs de Toutes-Joies. Aussitôt les Bleus dévalent les coteaux de la Sèvre en direction du château. Traqués de toutes parts, les réfugiés sont rassemblés dans la cour du grand logis. Seules deux sœurs parviennent à s’échapper.
Sans aucune forme de jugement, ordre est alors donné de tous les tuer. À coups de sabres, de pique et de crosse, les Bleus s’acharnent sur leurs victimes, avant de les précipiter, mortes ou vives, dans le puits situé au centre de la cour. Les bourreaux achèvent leur sinistre besogne en détachant les pierres de la margelle pour les jeter au fond du trou, puis en assommant les derniers survivants de boulets de canon qui traînent çà et là dans la cour.
À l'arrière-plan, les cuisines où les Vendéens firent du feu
avant d'être capturés par les Bleus
La cheminée utilisée par les réfugiés clissonnais
L’Arbre des Vendéens et le souvenir du massacre
Cet épisode douloureux resta longtemps gravé dans la mémoire des Clissonnais, et les visiteurs du château ne manquaient pas de s’incliner devant l’épicéa plantéà l’emplacement du puits tragique. On l’appelait « l’Arbre des Vendéens ». Mais le temps altéra cette histoire. Certains historiens et mémorialistes vendéens avaient considérablement accru le nombre des victimes, tandis que le parti adverse en vint à nier la réalité de ce massacre.
L’Arbre des Vendéens mourut bien des années plus tard. Son dégagement permit au Docteur Coubard, fondateur du Souvenir Vendéen, de pratiquer des fouilles à cet endroit. « À une profondeur d’à peu près 12 mètres, on commença à trouver les premiers ossements humains et il en fut retiré… jusqu’à proximité du fond, c’est-à-dire à 15,10 m. On a pu dénombrer 18 crânes humains, certains entiers,… d’autres fracassés. À noter que la presque totalité appartient à des personnes jeunes… Détail émouvant : parmi les débris retirés, on a retrouvé les restes très reconnaissables d’un petit sabot et d’un petit soulier d’enfant. » (Revue du Souvenir Vendéen, n°54, mars 1961). L’archéologie apportait enfin la preuve de ce massacre.
L'Arbre des Vendéens au début du XXe siècle
Y eut-il d’autres « Puits des Vendéens » ?
On trouve mention d’un massacre similaire dans le livre de Gustave Gautherot, L’épopée vendéenne (publié en 1927). Le fait est localiséà Vihiers, sur la route de Cholet à Saumur : « Vingt-neuf ambulances remplies de blessés furent précipitées dans l’immense citerne de la cour du château. » S’il est avéré, les habitants ne semblent pas en avoir gardé un souvenir aussi vivant qu’à Clisson.
Encore quelques vues de Clisson prises dimanche dernier...
L'église Notre-Dame vue depuis les remparts du château
Du même point de vue, la vallée de la Sèvre et l'église de la Trinité
Les murailles du château de Clisson
Préservée des destructions de la Révolution, la nef de la chapelle Saint-Jacques de Clisson a conservé sa charpente sculptée du XIIe siècle.
Les restes des Martyrs reposent désormais dans la chapelle du Prieuré
(dans la rue du Prieuré, attenante à la maison de retraite).
Le 30 septembre 1990, le Souvenir Vendéen y a posé une seconde plaque
commémorative portant les noms des 18 Martyrs de Clisson.