Le village de Saint-Sulpice, discrètement niché au pied du coteau de Saint-Saturnin face aux prairies bordées par la Loire, abrite un beau patrimoine bâti, en particulier son église qui conserve plusieurs souvenirs de la Révolution : à l’entrée, une inscription dédiée à l’Être suprême ; et dans son chœur, deux verrières illustrant le martyre de deux prêtres angevins.
Commençons par l’inscription révolutionnaire : « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme ». Elle reproduit l’article premier du décret du 18 floréal an II (7 mai 1794) qui instituait un calendrier de fêtes républicaines inspiré par le déisme de Robespierre. Peu d’églises en ont gardé la trace. Celle de Saint-Sulpice, ou plutôt de Gorges-Sableuses, nom révolutionnaire de la commune, est d’ailleurs la seule de tout l’Ouest. Cette inscription fut découverte en 1929 sous un enduit, ce qui explique son bon état de conservation et la relative fraîcheur de ses couleurs.
L'auvent de bois protégeant l'entrée de l'église…
… et son inscription révolutionnaire
L’église de Saint-Sulpice, très simple dans son architecture, date pour l’essentiel du début du XVIIIe siècle. Elle comporte une nef unique couverte d’une voûte en lambris, séparée du chœur par un arc-doubleau. C’est dans le chœur, de part et d’autre de l’autel, qu’ont été posées en 1941 les deux verrières réalisées par les ateliers d’Henry Uzureau, maître verrier nantais. Elles représentent le martyre de deux prêtres angevins : Noël Pinot et Louis Jumereau.
L'intérieur de l'église et, ci-dessous, les deux verrières du chœur
Noël Pinot, curé du Louroux-Béconnais,
guillotinéà Angers le 21 février 1794
Noël Pinot est néà Angers le 19 décembre 1747. Ordonné prêtre en 1771, il fut nommé vicaire à Bousse, en 1774 à Coutures, en 1776 à Corzé, avant de devenir aumônier de l'hôpital des Incurables d'Angers en 1781. Il y exerça avec un zèle admirable pendant plus de sept ans. «Ce saint ecclésiastique était connu pour tel de toute la ville», dira de lui l'abbé Gruget dans ses mémoires.
En 1788, Noël Pinot fut choisi pour la cure du Louroux-Béconnais. Après trois années de dévouement auprès de ses paroissiens, il refusa de prêter le serment constitutionnel, ce qu'il expliqua en chaire. La municipalité le dénonça. Arrêté le 5 mars 1791, il fut enferméà la prison de la Chartre, à Angers. Le tribunal du district le condamna à deux ans de bannissement à huit lieues de sa paroisse. Il se retira alors à Corzé, mais son attitude ouvertement hostile à la Constitution civile du clergé l'obligea à se réfugier dans les Mauges, à Beaupréau. Refusant de se soumettre à l'arrêté du 1er février 1792, qui imposait aux prêtres réfractaires de résider sous surveillance à Angers, il entra dans la clandestinité.
Il revint à Angers lorsque l'armée vendéenne s'empara de la ville en juin 1793, puis retourna au Louroux. Il y célébra son ministère, toujours clandestinement, mais aussi dans toutes les paroisses environnantes, jusqu'au début de l'année 1794. Arrêté le 9 février au village de la Milandrie, il comparut le lendemain devant le comité révolutionnaire d'Angers, puis le 21 devant la commission militaire qui le condamna à mort pour «conspiration envers la souveraineté du peuple».
Le jour même, 3 ventôse an II (21 février 1794), Noël Pinot fut conduit de la prison de la Chartre, par la rue Saint-Laud, jusqu'à la place du Ralliement où trônait la guillotine. Vêtu de ses habits sacerdotaux, il monta à l'échafaud en récitant les premières prières de la messe : Introibo ad altare Dei… Son corps fut déposé dans le cimetière situé près de l'enclos de la Visitation. Noël Pinot fut béatifié par le pape Pie XI, le 31 octobre 1926. Sa fête se célèbre le 21 février.
À l'arrière-plan, les maisons de la place du Ralliement
et les flèches de la cathédrale d'Angers
Dans le décor, le visages des révolutionnaires angevins…
… jusque dans la lunette de la guillotine
Au-dessous de la scène principale, l'arrestation de Noël Pinot,
découvert par les soldats dans un coffre de la ferme de la Milandrie
(le coffre est aujourd'hui visible dans l'église du Louroux-Béconnais)
Louis Jumereau, curé de Saint-Sulpice,
fusillé en décembre 1793
Bien moins connu que Noël Pinot, Louis Jumereau était le curé de Saint-Sulpice sous la Révolution. Il est né aux Alleuds le 22 décembre 1711. Vicaire à Saint-Sulpice de 1740 à 1755, il fut nommé curé de cette paroisse du 11 août 1755 jusqu’à sa mort en décembre 1793. Lui aussi avait refusé de prêter le serment constitutionnel et avait été incarcéréà Angers.
À la date du 24 septembre 1792, l’abbé Jumereau est cité dans une liste de 123 prêtres détenus à la Rossignolerie (1). La plupart des prêtres réfractaires qui y étaient détenus furent déportés en Espagne, sauf les infirmes et les plus âgés ; l’abbé Jumereau avait alors 80 ans. Il recouvra la liberté le 18 juin 1793, lorsque l’armée vendéenne s’empara d’Angers sans combat, après sa victoire à Saumur le 9 juin.
Au début du mois de juillet, les autorités républicaines rentrées à Angers après le départ des Vendéens dressèrent des listes des prêtres qui étaient restés dans leurs geôles ou qui étaient revenus se constituer prisonniers. Il en manquait 93, dont « Jumereau aîné » (Louis, curé de Saint-Sulpice) et « Jumereau cadet » (Pierre, chanoine de Blaison) ; ce dernier ne figurait pas dans la liste du 24 septembre 1792 et fut donc arrêté après cette date (2).
Après sa libération, l’abbé Jumereau revint dans sa paroisse, décision imprudente dans cette région patriote, car il fut dénoncé et de nouveau arrêté en décembre 1793. On le hissa sur un cheval pour le ramener à Angers. Il tomba plusieurs fois et, en chemin, fut tuéà coups de fusil par les soldats qui l’escortaient, à la Coquelinière, à l’entrée du bourg de Saint-Jean-des-Mauvrets (3). Le cadavre du vieillard laissé nu et sans sépulture fut solennellement inhuméà Saint-Sulpice en 1804.
Le portrait du prêtre âgé de plus de 80 ans
Un soldat commande l'exécution du prêtre
Au-dessous de la scène principale, l'arrestation de l'abbé Jumereau
S'agit-il de ceux qui l'avaient hébergé ou bien de ceux qui l'avaient dénoncé ?
Malgré son grand âge, le prêtre semble se débattre au moment de son arrestation.
Sous le vitrail de l'abbé Jumereau, une plaque a été posée en sa mémoire.
Merci à Pierre Guerry de m'avoir signalé l'existence de ces vitraux !
Notes :
- Émile Queruau-Lamerie, La Rossignolerie pendant la Révolution, Revue de l’Anjou, 1889, t. XIX, p. 69.
- Ce Pierre Jumereau était l’un des trois chanoines qui composaient le chapitre de Blaison et qui refusèrent le serment ; libéré par les Vendéens, on ignore ce qu’il advint de lui après.
- Célestin Port, Dictionnaire du Maine-et-Loire, édition révisée, 1996, t. IV, p. 242.