Les Archives de la Défense à Vincennes conservent deux imprimés de Stofflet, général en chef de l’armée d’Anjou et du Haut-Poitou, à l’adresse des républicains, en date du 28 janvier 1795. L’un fut remis à un soldat d’un bataillon de volontaires parisiens en poste à Chalonnes-sur-Loire, l’autre placardé face à l’arbre de la liberté de Loudun.
L'adresse de Stofflet aux républicains de Chalonnes-sur-Loire et de Loudun, du 28 janvier 1795 (A.D. 85, SHD B 5/11-14 et 11-15)
À la fin de 1794, les républicains se trouvaient confrontés à l’échec complet de leurs opérations militaires : la campagne menée sous le commandement de Turreau au début de l’année avait contribuéà réveiller contre eux une nouvelle insurrection, qui rejeta peu à peu leurs troupes dans un chapelet de camps disposés à la périphérie du territoire insurgé. Les événements de Thermidor, puis la nomination de Canclaux à la tête de l’armée de l’Ouest en octobre, changèrent alors radicalement la stratégie adoptée à l’encontre de la Vendée. Il n’était plus question d’ « exterminer cette race rebelle », comme le clamait Barère à la tribune de la Convention un an auparavant, mais « d’entrer dans une voie de pacification », pour reprendre les mots de Canclaux qui souhaitait avant tout donner du repos à ses soldats (1).
Le 2 décembre 1794, tandis que Turreau rédigeait sa défense en prison et que Carrier se débattait lors du procès retentissant qui le mènera à la mort deux semaines plus tard, la Convention nationale promit une amnistie à ceux qu’elle vouait à l’anéantissement quelques mois auparavant, décrétant que « toutes les personnes connues sous le nom de rebelles de la Vendée (on ne parle plus de « brigands de la Vendée ») et de Chouans, qui déposeraient les armes dans le délai d’un mois, ne seraient ni inquiétées, ni recherchées pour le fait de leur révolte ». Des représentants en mission envoyés pour veiller à l’application de cette amnistie entreprirent d’entrer en contact avec celui qu’ils voyaient comme le principal chef de ces rebelles : Charette. Leurs pourparlers aboutiront le 17 février 1795 à la signature d’un traité de paix, ou plutôt d’une trêve, à la Jaunaye au sud de Nantes.
Mis à l’écart, Stofflet vit d’un mauvais œil ces négociations qui attisèrent encore sa rivalité avec Charette, déjà exacerbée par l’affaire du papier-monnaie que le chef angevin avait émis en octobre 1794. Il s’y opposa farouchement et n’hésita pas à provoquer les Bleus en attaquant leur camp à Beaulieu-sur-Layon le 6 janvier 1795. En réponse à une proclamation dans laquelle la Convention prétendait qu’elle pardonnait et qu’elle voulait rallier ses enfants égarés, Stofflet riposta le 28 janvier suivant par une adresse aux républicains :
Au nom du Roi
Le conseil militaire de l’armée d’Anjou et Haut-Poitou aux républicains
Français égarés,
Vous annoncez des paroles de paix ! ce vœu est celui de nos cœurs. Mais de quel droit nous offrez-vous un pardon qu'il n'appartient qu'à vous de demander ? Teints du sang de nos rois, souillés par le massacre d'un million de victimes, par l'incendie et la dévastation de nos propriétés, quels sont vos titres pour inspirer la confiance et lasécurité ? (…)
Si néanmoins, vos vœux étaient sincères, si vos cœurs tendaient vers la paix, nous vous dirions : Rendez à l'héritier de nos rois son sceptre et sa couronne ; à la religion son culte et ses ministres ; à la noblesse ses biens et son éclat ; au royaume entier son antique et respectable constitution dégagée des abus que le malheur des temps y avait introduits.
Alors, oubliant vos torts, nous volerons dans vos bras et confondrons avec les vôtres nos cœurs, nos sentiments et nos désirs. Mais sans ces conditions préalables acceptées, nous mépriserons une amitié que le crime ne doit jamais offrir à la vertu ; nous braverons vos efforts et vos menaces. Aidés de nos fidèles et généreux soldats, nous combattrons jusqu'à la mort et vous ne régnerez que sur la tombe du dernier d'entre nous.
Maulévrier, le 28 janvier 1795, l'an IIIe du règne de Louis XVII.
Stofflet, général en chef, Bérard, Trottouin, Guichard, Nicolas, Renou, Lhuillier, Chalon, Martin, Cadi, Gibert, secrétaire général.
À Loudun, on s’insurge contre « cette horde brigantine »
Il nous reste aujourd’hui au moins deux exemplaires de cette adresse de Stofflet aux républicains. L’une fut passée à un soldat du 5e bataillon de volontaires parisiens, dit de l’Unité, cantonné dans l’île de Chalonnes-sur-Loire, qui « a manifesté la plus grande indignation et l’avoit deja condamné au feu, lorsqu’il a été arrêté » (2). En grande partie dévastée par la guerre et toujours exposée aux incursions des insurgés des Mauges, la ville de Chalonnes avait été quasiment vidée de ses habitants qui s’étaient réfugiés dans ses îles. Le 10 avril 1794, les représentants Hentz et Francastel avaient pris un arrêté ordonnant de les en évacuer sur la rive droite de la Loire. Il ne restait donc sur place que cette garnison.
Les membres du conseil d’administration de ce bataillon parisien se dirent outrés et, arguant de plus de vingt mois de combat, « aux champs de Martigny (Martigné), aux plaines de Doué, de Coron, de Châtillon, de Chollet, au siège d’Angers », ils ne jurèrent « d’une rentrée dans leurs foyers qu’en passant sur le corps du dernier des brigands ».
L’indignation fut la même lorsqu’on découvrit l’adresse de Stofflet vis-à-vis l’arbre de la liberté de Loudun, le 18 février 1795. Le comité révolutionnaire de la ville s’empressa de condamner cette affiche jugée « contraire et préjudiciable au gouvernement républicain » et la fit lui aussi envoyer à la Convention « pour la mettre dans le cas de prendre dans sa sagesse, contre cette horde brigantine, toutes les mesures qu’elle croira convenables et urgentes pour le salut de la République » (3).
Louis Renou dessiné par Louise de La Rochejaquelein (Album Chauvelin, 1826)
Qui a placardé l’adresse de Stofflet à Loudun ?
S’il est aisé de comprendre comment cette affiche fut passée aux Bleus sur l’île de Chalonnes-sur-Loire, où les rebelles s’aventuraient parfois, il est en revanche bien étonnant qu’elle ait pu être placardée si loin des Mauges, jusqu’à la ville de Loudun qui ne reçut la visite de Vendéens que de manière épisodique à l’été 1793. L’une des pistes les plus plausibles pour comprendre comment elle a pu parvenir aux confins de la Vienne est peut-être à chercher du côté du 7e signataire de l’adresse : Louis Renou, dit Bras-de-Fer, un natif de Loudun qui avait rallié l’armée vendéenne dans les premiers jours du mois de mai 1793. Berthre de Bourniseaux en a livré une biographie détaillée dans son Histoire des guerres de la Vendée et des Chouans (4).
Renou s’illustra aux batailles de Saumur (9 juin), Châtillon (5 juillet), Luçon (14 août), et celle de Coron (18 septembre) après laquelle il prit part aux victoires de Torfou, Montaigu et Saint-Fulgent (du 19 au 22 septembre). On le vit aussi combattre à la Tremblaye (15 octobre), puis à Cholet deux jours après. Il fit ensuite toute la campagne d’outre-Loire, d’où il réussit à revenir en passant la Loire à Ancenis à la mi-décembre.
Il rejoignit alors ses compagnons d’armes réunis autour de La Rochejaquelein jusqu’à la mort de ce dernier le 28 janvier 1794. Quand Stofflet prit la relève du commandement de l’armée d’Anjou, Renou le suivit et fit des prodiges à la prise de Cholet le 8 février, mais il changea d’allégeance le mois suivant en se mettant au service de Marigny qui venait de rentrer d’outre-Loire. L’exécution sommaire de ce général vendéen, le 10 juillet, provoqua une rupture entre les combattants poitevins et ceux qu’ils estimaient responsables de cette mort, à savoir Stofflet et Charette. Renou fit partie de ces mécontents. Sa haine des Bleus le poussa cependant à revenir vers le chef angevin, et à poursuivre le combat sous ses ordres avec sa division des Aubiers jusqu’à la fin de l’année 1794.
Bien qu'il fût signataire de l’adresse aux républicains, le 28 janvier 1795, Renou finit toutefois par pencher en faveur de la paix. Lassé de l’autoritarisme de Stofflet et des querelles de celui-ci avec Charette, il l’abandonna pour accepter à son tour les clauses du traité de paix de la Jaunaye, le 26 février, avec d’autres officiers : Trottouin et Gibert (eux aussi signataires de l’adresse du 28 janvier), les deux frères Martin et La Ville-Baugé. Un rapport des représentants à la Convention dévoile la part obscure de cette soumission qui se monnaya, le prix de Renou s’élevant à 100.000 livres en assignats (5). « Après la signature de la paix, il (Renou) se retira à Loudun, où il trouva son épouse rendue à la liberté », écrit Bourniseaux qui ajoute que le couple avait perdu tout son mobilier et qu’il avait fallu emprunter les meubles les plus nécessaires (6). Il avait pourtant de quoi les racheter.
Stofflet se trouva bientôt seul à combattre. Pressé de tous côtés des Mauges par les troupes républicaines, il dut se résigner à son tour à la paix qu’il signa à Saint-Florent-le-Vieil le 2 mai suivant… sans qu’il fût besoin de le corrompre.
Renou ne reprendra pas les armes à la fin de l’année 1795, probablement par dépit à l’endroit de Stofflet, puisqu’il n’hésitera pas à repartir en guerre quatre ans après dans le Bressuirais, en compagnie de Beauvollier, un autre natif de Loudun. Bourniseaux rapporte qu’en 1799, « pendant que M. de Beauvollier, de concert avec le brave Forestier, formait en secret des rassemblements, M. Renou retourna à Loudun, d’où il revint bientôt avec un convoi de poudre qu’il escorta jusqu’à Yzernay, à travers des obstacles et des périls qui paraissaient insurmontables ». S’il a pu passer un convoi de poudre au nez et à la barbe des Bleus sur cette longue distance de 70 km entre Loudun et les environs de Cholet, on peut penser que Renou n’aurait pas eu trop de peine à emporter une affiche jusqu’à sa ville natale.
Notes :
- Edmond Stofflet, Stofflet et la Vendée, réédition Pays et Terroirs, 1994, p. 298.
- SHD B 5/11-14.
- SHD B 5/11-15.
- Pierre-Victor-Jean Berthre de Bourniseaux, Histoire des guerres de la Vendée et des Chouans, réédition Pays et Terroirs, t. III, pp. 435-446.
- E. Stofflet, op. cit., p. 322.
- Bourniseaux, op. cit., p. 444.