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« Les enfants de la discorde » par Jonathan Werber

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Pour son second roman, Jonathan Werber plonge ses lecteurs dans l’atmosphère sinistre de Nantes sous la Terreur. Il y place son héros, un jeune soldat républicain qui n’aura de cesse d’abattre le représentant Carrier, le responsable de la mort son père. 

Les enfants de la discorde

L’histoire commence là où s’achève la Grande Guerre de Vendée, dans le feu terrible de la bataille de Savenay, le 23 décembre 1793. Le soldat Simon Delmotte s’y trouve mêlé au plus fort des combats, lui qui s’est engagé dans les armées républicaines pour défendre Nantes, sa ville natale. De retour chez lui, la victoire prend soudain un goût amer quand il découvre que son père, un horloger talentueux, a été tué, et que sa mère a été jetée en prison avec un grand nombre de notables nantais. Accablé de douleur, il comprend aussitôt ce qu’il s’est passé et n’a plus dès lors qu’une seule idée, celle de se venger du responsable de ses malheurs : le conventionnel Jean-Baptiste Carrier.

Son premier élan le pousse vers la maison de celui qui fait régner la Terreur sur la cité. Simon est peut-être un gringalet, mais son habileté au fusil en fait un tireur redoutable. Tandis qu’il tient Carrier en joue, à distance, son geste est brutalement interrompu par une jeune femme, Charlotte, qui va lui proposer une intrigue bien plus machiavélique pour faire payer ses crimes au représentant. Une intrigue ourdie par Phelippes-Tronjolly, juge au tribunal révolutionnaire, qui va entraîner Simon dans les entrailles les plus noires du système répressif orchestré par Carrier, afin de l’abattre. Pour cela il devra toutefois prendre part à toutes les exactions de l’abominable bande de Lamberty, jusqu’aux noyades de prisonniers dans la Loire.

On se laisse facilement happer par le récit de cette machination qui semble sur le point d’échouer à plusieurs reprises, mais qui tient le lecteur en haleine par de nouveaux rebondissements. L’auteur a une plume alerte et un talent de scénariste qui font passer sans effort les presque 500 pages de son roman. Et je ne vous cache pas que j’ai rarement lu des descriptions aussi saisissantes des noyades en Loire, même vécues de l’intérieur d’une sapine.

Il y a cependant quelques grains de sable qui font crisser le mécanisme… et les dents du lecteur pointilleux. Commençons par la chronologie qui, par exemple, situe la première noyade en Loire en janvier 1794 (p. 143), alors qu’elle eut lieu dans la nuit du 16 au 17 novembre 1793 (et sans nonnes, contrairement au roman) ; ou encore l’envoi des 132 Nantais en mars 1794, au lieu de novembre 1793, bien que dans ce cas l’auteur ait pris la précaution d’expliquer en fin d’ouvrage la liberté qu’il s’est permise dans les dates afin de mieux coller avec le parcours de son personnage principal.

Parmi les anachronismes, notons que les contemporains ne qualifiaient pas Carrier de « consul » ou de « proconsul », termes qui lui seront affectés au début du XIXe siècle. Ils ne parlaient pas non plus de « place Viarmes » (quoique l’auteur la nomme une fois, p. 79, sous son nom de place des Agriculteurs) et ne pouvaient voir en 1793 le beffroi de l’église Saint-Croix tel qu’il a étéérigé en 1860 (p. 93). Je m’interroge aussi sur l’origine de l’appellation des « carrières Giganty » en lieu et place des carrières de Gigant. Quant à celle de « la Chambre des députés » utilisée ici pour désigner la Convention nationale (p. 444), sauf erreur de ma part, elle apparaît sous la Restauration.

Plusieurs points trahissent d’autre part les limites de la documentation de l’auteur sur la Vendée. L’expression « Virée de Galerne » est trop tardive pour pouvoir être placée dans la bouche d’un soldat qui revint de la bataille de Savenay. Du reste, les Vendéens n’y combattaient plus avec les faux redressées qu’ils avaient remisées au profit de fusils depuis plusieurs mois déjà. La figure de Turreau n’est que brièvement évoquée, mais elle confond les deux cousins, le député et le général, qualifié de « jeune Turreau » (p. 292) alors qu’il avait 37 ans. On sourcille également quand le convoi des 132 Nantais marque un surprenant détour entre Angers et Saumur en passant par la forêt de Vezins (p. 366), afin de se ravitailler en nourriture auprès de la troupe de Crouzat, chose invraisemblable quand on sait que les commandants des colonnes de Turreau passaient leur temps à se plaindre du manque de pain, qu’ils devaient se procurer en périphérie du territoire qu’ils ravageaient. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les rapports entre Carrier et les différents corps constitués de Nantes, notamment avec le comité révolutionnaire et la société Vincent-la-Montagne, bien que le roman ne se prête guère à en détailler la complexité.

Je vous l’accorde, l’écrivain a toute licence pour s’extraire du carcan des dates et de la biographie des personnages réels qu’il emprunte à l’histoire. Ces détails sur lesquels on trébuche gâchent pourtant quelque peu le plaisir de la lecture pour qui s’est déjà intéresséà cette période. En revanche ils ne devraient pas troubler le néophyte qui aura même probablement envie d’en apprendre davantage sur Carrier et la Terreur à Nantes après avoir suivi Simon Delmotte jusqu’à l’épilogue de son aventure.

Jonathan Werber, Les enfants de la discorde. L’histoire de l’homme qui vengea la Vendée, Paris, Robert Laffont, septembre 2022, 496 pages, 22 €.
   


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