Le Souvenir de la Chouannerie du Maine rendra hommage le dimanche 23 août 2015à Louis Moulé de La Raitrie, guillotiné le jour de ses 16 ans, le 1er juin 1794. À cette occasion, une plaque sera inaugurée en sa mémoire à Saint-Georges-le-Fléchard. Voici la biographie de ce jeune martyr chouan...
L'hôtel de La Raitrie à Mayenne. À la place de la statue du Cardinal Cheverus
(à droite) se dressait la guillotine. En face, l'Hôtel de Hercé porte une plaque
à la mémoire de Mgr Urbain de Hercé, dernier évêque de Dol,
fusilléà Vannes le 28 juillet 1795.
15 octobre 1793 : à 15 ans, « embastillé »à Mayenne
À la chute des Girondins, le 2 juin 1793, jusqu’après le 9 thermidor, le pouvoir passe en réalité aux Clubs en particulier au Club des Jacobins. Danton s’écrie : « en créant les comités révolutionnaires, on a voulu établir une espèce de dictature des citoyens les plus dévoués à la liberté ». Il s’agit bien d’une dictature, les Clubs absorbent en eux-mêmes toutes les autorités municipales et départementales. Leurs lieux de réunion sont les cabarets ou les églises profanées. Leur but : recruter des « apôtres républicains » pour enseigner aux villageois le « catéchisme de la liberté ». Dans chaque commune il faut « une société qui réchauffe l’esprit public, protège le peuple et surveille ceux qui pourront lui nuire ». Les Clubs sont de véritables machines de guerre idéologiques pour soulever les populations contre les valeurs de l’Ancienne France. Les comités révolutionnaires imposent la déchristianisation forcée avec un nouveau calendrier révolutionnaire, encouragent les enrôlements, reçoivent les dénonciations, lancent les décrets d’arrestation, pourvoient de victimes la guillotine et dressent les listes des suspects.
La Loi des suspects est votée le 17 septembre 1793. Cette loi ordonne l’arrestation de tous les ennemis avoués ou susceptibles de l’être de la Révolution (nobles, parents d’émigrés, fonctionnaires destitués, officiers suspects de trahison et accapareurs). Ainsi, le 15 octobre 1793, Louis de La Raitrie, 15 ans, et son père, pourtant lieutenant-colonel de la gendarmerie départementale, figurent sur la liste des suspects et sont « embastillés » dans la sordide prison de Mayenne. Ces victimes d’une justice arbitraire sont réduites à coucher sur la paille avec pour ration alimentaire une livre et demie de pain de méteil. Dans le crépuscule du Siècle des lumières, ils découvrent l’enfer d’une ténébreuse prison.
1er novembre 1793 : La Virée de Galerne avec Louis de Hercé
Durant la Virée de Galerne, l’Armée Catholique et Royale combat l’ennemi et libère les honnêtes gens des prisons républicaines. Le 1er novembre, les Libérateurs arrivent à Mayenne. Louis de La Raitrie, reconnaissant, prend son cheval et accompagne son père qui rejoint avec enthousiasme les Vendéens. Dans cette Ancienne France, le code d’honneur n’est pas celui de l’ingratitude et de la résignation mais celui du courage dans l’adversité. Louis de La Raitrie ne peut pas rester les bras ballants. S’il reste à Mayenne, il serait recherché et reconduit dans sa geôle. Lui le franc, l’homme libre doit regagner sa liberté, pour cela il lui faut combattre. Les propos johanniques, « les hommes d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire », sont bien vivants dans l’esprit des Chouans et des Vendéens. Avec eux, on retrouve un autre adolescent, leur voisin Louis de Hercé, neveu d’Urbain de Hercé, dernier évêque de Dol, fusilléà Vannes. Le Prince de Talmont donne au nouvel aide-major Louis de Hercé la permission de commander sa troupe de paysans.
Après la déroute du Mans le 13 décembre 1793, les Vendéens prennent la direction de Laval. Selon les autorités républicaines, 10 000 d’entre eux sont massacrés sur la route du Mans à Laval. La mère de Jean Chouan y trouve la mort, mais déjà la Virée de Galerne marche sur ce qui sera son chemin de croix, son martyre. Harcelée par les républicains, elle doit aussi faire face à cette « ennemie de l’intérieur » : la maladie. À trois lieues de Laval, Louis de Hercé, malade, se réfugie dans une ferme du côté de Nuillé-sur-Ouette et son frère d’arme Louis de La Raitrie trouve l’hospitalitéà la Rallais, une ferme qui appartient à sa mère, sur la paroisse de Bazougers. Pour survivre, il est contraint de mendier son pain quotidien auprès des campagnards et la nuit venue, il s’endort dans une grange.
Début 1794 : Premier capitaine de paroisse de Bazougers
D’un élan fougueux, il tarde à Louis de La Raitrie de reprendre le combat. Son ami Louis de Hercé a été dénoncé et doit affronter les tribunaux révolutionnaires. L’adolescent sera sauvé grâce à l’intervention d’un parent qui le prend sous sa responsabilité, ce qui l’empêcha de poursuivre le combat dans la Chouannerie. Celui qui sous la Restauration deviendra député de la Mayenne et Maire de Mayenne, jusqu’à l’arrivée de Louis-Philippe, peut être considéré comme un « miraculé » de la Terreur.
En effet, depuis avril 1794, René François-Primaudière est muté en Mayenne pour « établir le gouvernement révolutionnaire », « opération la plus importante, dit-il, car c’est ce gouvernement seul qui peut conduire les Français au comble de la félicité ». Sa mission consiste à s’occuper des opérations relatives à l’épuration des autorités (les gardes des forêts qui sont « inciviques, aristocrates et pervers » sont remplacés par « des bons sans-culottes ») et à la guerre des Chouans. Le 25 avril a lieu l’exécution de 2 jeunes femmes âgées de 18 et 15 ans : Perrine et Renée Cottereau coupables d’être « sœur des Cottereau, dits Chouans ». Lors de son interrogatoire, Perrine lassée, répond : « Vous nous traitez comme des brigands, mais le Bon Dieu nous jugera et vous aussi ; il fera la part de chacun. Je m’en remets à sa miséricorde car je n’attends de vous ni justice, ni pitié ».
Le 28, la commission Huchedé a en 20 jours prononcé 34 peines capitales. En application de la loi du 16 avril 1794, elle doit suspendre ses séances, tous les prévenus de conspiration sont désormais renvoyés devant le tribunal de Paris. Les prisons de Laval se trouvent alors encombrées. Cette « surpopulation » sera résorbée grâce à la loi du 8 mai qui permettra au Comité de salut public à maintenir en fonction les tribunaux révolutionnaires, la machine « humanitaire » du Docteur Guillotin peut à nouveau selon son illustre inventeur faire « sauter les têtes en un clin d’œil et sans souffrance. »
11 mai 1794 : Combat héroïque à Saint-Georges-le-Fléchard
Avec Danton dit Duverger un ami de son âge, Louis de La Raitrie parvient à déjà rassembler 28 hommes. D’autres sont prêts à suivre celui est déjà premier capitaine de paroisse de Bazougers, mais pour cela doit les équiper d’armes et de munitions. Le 11 mai, tandis que les cantonnements de Parné, Forcé, Entrammes et Louvigné font des battues sur Bazougers, sans rien trouver, le jeune Louis Moulé de la Raitrie et Danton décident d’attaquer Saint-Georges-le-Fléchard. Dans le village, ils trouveraient ce dont ils ont besoin, car depuis le passage des Vendéens, les habitants, dans une volonté de protection, se sont organisés en garde nationale. À la nuit tombante, ils entrent dans le bourg par plusieurs côtés à la fois, la surprise est totale et la garde nationale désorganisée s’enfuit de tous côtés en laissant leurs armes sur place. La Raitrie fait fouiller les maisons tout en défendant d’y commettre le moindre désordre. Les fusils sont rassemblés en faisceau dans le cimetière situé au centre du bourg.
Pour fêter cette facile victoire, La Raitrie fait apporter à boire et à manger à ses gens sur la place publique et fait parade de sa science militaire en rangeant sa petite troupe en ligne se mettant à lui commander des évolutions.
Pendant qu’il se livre à cette joie enfantine, les gardes nationales et les gendarmes de Vaiges, de Soulgé et de Saint-Jean-sur-Erve, avertis par les fuyards, accourent vers Saint-Georges-le-Fléchard. Prévenus par des femmes que les Chouans y sont encore, les Bleus cernent le bourg. La Raitrie, qui n’a pas pris la précaution de placer une sentinelle, découvre la présence de l’ennemi que lorsqu’il s’en voit attaqué de tous côtés.
Il a vu, dès le premier instant, l’imminence du danger, et n’a plus qu’un seul but, celui de se sacrifier pour faciliter la fuite des siens. « C’est moi, lance-t-il aux Bleus, c’est moi le chef des royalistes. Je vous défie tous, venez m’arrêter si vous l’osez, je vous attends ». Il jette alors son fusil, tire son sabre de son fourreau et fait face aux Républicains. À ces cris de bravoure, la foule accourt.
Le combat est déséquilibré, lui seul contre tous tient en respect ses adversaires. « Je vous défie tous, je vous attends tous, vous ne m'arrêterez pas ». Reculant progressivement vers la sortie du bourg et continuant à se battre comme un lion, le combat se termine dans un champ. Les Bleus n'osent pas tirer de peur de s'entretuer. Sous le nombre Louis de La Raitrie succombe, il reçoit de nombreux coups de sabre et s'effondre. On le croit mort. La nuit est tombée, on le dépouille de ses vêtements et on l'abandonne.
Le lendemain matin, tandis qu'on prépare une charrette pour conduire dans les prisons lavalloises les trois Chouans faits prisonniers, on s'aperçoit qu'il respire encore, il est alors jeté sur le tombereau. En passant au milieu du bourg, des femmes accourent demandant à grands cris la mort des « brigands ». Malgré ce tumulte, une sainte femme éprise de Charité brave le danger et s'approche de la charrette pour recouvrir d'un lambeau le corps ensanglanté de La Raitrie.
1er juin 1794 : Guillotiné le jour de ses 16 ans
Le représentant du peuple Bollet écrira à la Convention : « On a arrêté dans le ci-devant village de Saint-Georges-le-Fléchard un ex-noble nommé de La Raitrie. C'était un tout jeune homme qui n'avait pas encore seize ans. Il avait servi parmi les Brigands : il chouannait et même s'était, dit-on, bravement battu. Il était couvert de blessures et au lieu de l'achever sur place, on eut la cruauté de le conduire à Laval, où son sang marquait toutes les rues. Pour le faire mourir sur la guillotine, on a attendu les quelques jours qui lui manquaient et le jour de ses 16 ans on l'a jugé et condamné ». Cette "prévenance"était motivée par l'arrêté de Garniers de Saintes du 4 janvier 1794, qui interdisait de condamner à mort les enfants en dessous de 16 ans, même pris les armes à la main. De peur qu'il n'échappe au supplice, le président de la Commission révolutionnaire, Huchedé, falsifie son extrait de naissance et lui attribue 17 ans et demi.
Le 30 mai, les Commissions de Laval, Rennes et Vitré sont autorisées à« poursuivre leurs travaux », ces trois villes regorgent de prisonniers Chouans, qui selon les dires officiels « ne faisaient qu'infecter l'air et dévorer le peu de subsistances qui restaient ».
Le 31 mai, à Mayenne, devant le club révolutionnaire assemblé dans l'église Notre-Dame, François-Primaudière lance une violente diatribes contre les aristocrates et les Chouans. Le 1er juin, Huchedéécrit au Comité révolutionnaire de Laval : « Vous sentez l'importance de juger bien vite Moulé de La Raitrie, ce grand scélérats. Nous vous invitons à nous faire passer sur le champ le procès-verbal de son arrestation et l'interrogatoire que vous lui avez fait subir. La nuit ne doit point se passer qu'il n'ait subi la peine de son crime ». La sentence de mort est exécutée séance tenante. On prétend avoir trouvé sur lui un plan de guerre pour égorger le même jour, à l'aurore, les patriotes d'Argentré, Soulgé, Saint-Georges, Vaiges, Bazougers et Ballée. Ce projet chimérique, inventé pour les besoins de la cause, a étéécrit sur un chiffon en papier, sans signature et sans date. Bien entendu, le malheureux La Raitrie nie les accusations.
Avec lui sont guillotinés le 1er juin 1794, Julien Houdou, laboureur, et Michel Miotel, tisserand à Nuillé-sur-Ouette, soupçonnés d'être ses complices.
Le 16 juin, François-Primaudière écrit au Comité du Salut public « qu'il continue les opérations relatives à sa mission : la régénération des autorités constituées, l'organisation du gouvernement révolutionnaire et la destruction de la horde de Chouans, qui occupe ce territoire. » Sa haine ne fera que renforcer le déterminisme des Chouans à poursuivre la noble cause.
Source : Le Souvenir de la Chouannerie du Maine (Nicolas Chotard)